Une conversion à l’État providence dans l’urgence du Covid-19
Une conversion à l’État providence dans l’urgence du Covid-19
Par Sabrina DARBALI*
*Arbitre en Droit Commercial International
« Nous sommes tous dans le même bateau ! ». La colère du coronavirus d’aujourd’hui peut faire renaître l’État-providence de demain. L’État providence était un modèle palliatif développé à l’origine pour équilibrer les coûts sociaux de l’économie de marché ou pour le garder hors de vue. Alors que chacun, riche ou pauvre, est confronté à la possibilité de la maladie et de la mort, le coronavirus a mis en évidence les inégalités flagrantes de toutes les sociétés. Les pauvres sont bien plus susceptibles d’être des travailleurs essentiels, livrant notre nourriture, fournissant les services publics et assurant le fonctionnement des systèmes de transport malgré la pandémie. Ces travailleurs « peu qualifiés » sont désormais indispensables pour lutter contre le coronavirus. Beaucoup d’entre eux, n’ont pas les moyens de se payer des soins de santé adéquats et ne bénéficient pas de congés de maladie payés garantis. Leurs emplois sont vulnérables même dans les meilleures conditions. Ils sont également parmi les plus touchés par les inconvénients de l’économie émergente de l’industrie.
Plutôt qu’un fardeau, le système de protection sociale est une forme d’assurance collective contre les risques de la vie. Des décennies de politiques néolibérales ont entraîné des inégalités dans les services de santé, comme en témoignent les soins de santé privatisés qui offrent les meilleurs traitements et services médicaux à ceux qui peuvent se permettre de payer alors que les établissements de santé publique surchargés et sous-financés s’adressent aux plus pauvres de la société. Pour les travailleurs des secteurs informels, les citadins pauvres, les paysans et les travailleurs migrants, ces services de santé publique sont leur seul recours. Tout aussi troublant est le manque de sécurité sociale et de filets de sécurité pour la majorité de la classe ouvrière met également en danger non seulement leur santé mais aussi leur emploi et leurs revenus. La précarité actuelle des travailleurs dans le travail contractuel et irrégulier s’est pleinement matérialisée. En l’absence des protections du travail et des salaires réguliers, de l’adhésion à un syndicat et des allocations de chômage, ces travailleurs ont du mal à faire face au fardeau engendré par cette pandémie. Bien que le virus ne fasse aucune discrimination fondée sur la classe, la religion, le sexe et la race, l’acceptation et l’institutionnalisation de nos sociétés garantissent que les plus vulnérables seront les plus touchés par la pandémie tandis que les plus riches survivront et prospéreront.
Cette pandémie a marqué le monde. C’est la vie désormais totalement méconnaissable par rapport aux libertés que nous avions il y a quelques mois. Le besoin de soutien de l’État pour le bien-être dépendra de la mesure dans laquelle le Covid-19 déclenche une crise économique. Cela dépend à son tour de la capacité des industries à s’adapter à la nouvelle norme. Les verrouillages ont limité les déplacements, de sorte que les industries qui ont réussi à numériser prospèrent. Alors que les entreprises qui ne sont pas en mesure de le faire risquent de s’effondrer et d’entraîner une part importante de l’économie avec elles.
Les crises sont terribles, mais elles sont aussi exaltantes car, traitées avec lucidité, elles constituent un formidable aiguillon pour la réforme. Hormis les anarchistes, nul ne contestera qu’il soit du rôle de l’État d’intervenir en cas d’épidémie. Les libéraux classiques l’ont dit et répété, la protection des épidémies au rang des biens publics. Le Maroc ne sera ni le 1er ni le dernier à songer à reprendre le modèle de l’État providence.
L’État providence représente une réalisation indispensable pour la population. En ce qui concerne la santé, cet axiome est encore plus valable. Au Maroc, la reconnaissance suprême du droit d’accès aux soins de santé relève de la Constitution de juillet 2011 qui fournit une perspective très riche sur la responsabilité de l’État dans ce domaine. Ce texte affirme dans l’article 31 que « l’État, les établissements publics et les collectivités territoriales œuvrent à la mobilisation de tous les moyens à disposition pour faciliter l’égal accès des citoyennes et des citoyens aux conditions leur permettant de jouir des droits aux soins de santé, à la protection sociale, à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste ou organisé par l’État…». D’autre part, l’article 34 de la constitution reconnait le droit d’accès aux soins de santé à des personnes et catégories à besoins spécifiques « les pouvoirs publics élaborent et mettent en œuvre des politiques destinées aux personnes et aux catégories à besoins spécifiques. A cet effet, ils veillent notamment à : traiter et prévenir la vulnérabilité de certaines catégories de femmes et de mères, des enfants et des personnes âgées…». Tant que la constitution reconnait de façon explicite le droit à l’accès aux soins de santé, il est important de noter qu’elle préconise également un certain nombre de principes et de dispositions qui devraient avoir des répercussions sur l’organisation et le fonctionnement du système de santé.
Cependant, les grandes crises sanitaires et économiques telles que celle-ci doivent trouver des solutions tout aussi ambitieuses. Des solutions qui servent à étendre les droits et les protections, et non à augmenter les rangs des personnes précaires et vulnérables. Comme mentionné précédemment, le soutien à notre santé et aux autres travailleurs de première ligne, aux soins de santé universels, à la protection des moyens de subsistance et au droit au logement, doit être assuré.
- Les principales mesures de confinement
Les mesures de distanciation sociale nécessaires pour lutter contre la propagation du nouveau coronavirus dont nous sommes victimes depuis plusieurs semaines ont été promues au travers de compagnes médiatiques qui mettent en avant les avantages de rester chez soi. Enfin nous pouvons nous consacrer à toutes ces choses pour lesquelles nous n’avons normalement pas le temps dans l’agitation de la vie quotidienne, plus il y a de passe-temps, mieux c’est…Mais la réalité est très différente.
Le Maroc a décidé d’interdire les rassemblements, puis de fermer les écoles, arrêter les liaisons aériennes et maritimes, ainsi que ses frontières terrestres avec les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla jusqu’à déclarer l’état d’urgence. Pourtant le pays était encore au stade 1 de la pandémie. Il a pris ces décisions à quelques jours d’intervalle avec beaucoup de pays européens, mais bien en avance par rapport à eux qui comptabilisaient déjà des milliers de cas. Le gouvernement marocain a très vite décidé d’une série de mesures pour limiter une éventuelle propagation désastreuse du virus.
Dans ce sens, un décret-loi portant sur les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire a été publié au bulletin officiel, et qui intervient dans le cadre des mesures préventives urgentes prises par les autorités publiques, conformément à l’article 21 de la Constitution, afin d’assurer la sécurité des populations et du territoire national, dans le respect des libertés et des droits fondamentaux garantis à tous. Le texte établit un cadre juridique adapté pour les autorités publiques en vue de prendre toutes les dispositions adéquates et nécessaires pour décréter l’état d’urgence sanitaire pour une période bien déterminée, à travers tout le territoire national en cas de nécessité, à chaque fois que la sécurité des personnes est menacée par une épidémie ou une maladie contagieuse et que la situation impose des mesures urgentes pour les protéger de ces maladies et limiter leur propagation.
L’objectif étant d’intervenir immédiatement et rapidement pour prévenir l’aggravation de la situation épidémiologique et mobiliser tous les moyens nécessaires à la protection des personnes et de leur sécurité. Dans un tel contexte, le décret-loi prévoit des sanctions à l’encontre de toute personne se trouvant dans l’une des zones concernées par l’état d’urgence, en cas de manquement aux décisions et injonctions des autorités.
Par ailleurs, et dans les scénarios les plus optimistes, que la date de la fin de l’état d’urgence sanitaire soit le 20 mai ou une date ultérieure, cela ne change rien au fait qu’il faut que cette sortie du confinement soit progressive. En plus de garder les gestes barrières, à savoir le lavage des mains, le port du masque, la distanciation sociale, il est recommandé de ne pas revenir à une situation normale d’un seul coup. Passer du confinement total au déconfinement total du jour au lendemain augmentera le risque de redémarrer un nouveau cycle de contamination et cela risque de ruiner tous les efforts faits jusqu’à présent pour contenir la propagation du virus.
- Les aides financières apportées par le gouvernement
Lorsque vous êtes malades, il y a des priorités ce qui implique souvent de renoncer à certaines choses pour pouvoir se soigner. En économie, c’est pareil. Face à la fermeture forcée de pans entiers de l’économie du pays, le gouvernement marocain a mis en place un plan de soutien stratégique pour anticiper les répercussions économiques directes et indirectes sur l’économie nationale. Plusieurs chantiers ont été lancés durant ses dernières semaines. Il fallait instaurer une veille sanitaire, coordonner les décisions avec les pays partenaires, assurer la continuité des services vitaux du royaume et mettre en place un montage financier pour faire face aux impacts économiques et sociaux de la pandémie. Tout cela en veillant à assurer et orienter l’opinion publique.
Le gouvernement a procédé à la mise en place, au niveau du ministère de l’économie, des finances et de la réforme de l’administration, d’un comité de veille économique (CVE). Ce comité est chargé d’une part, de suivre de près l’évolution de la situation économique à travers des mécanismes rigoureux de suivre et d’évaluation et d’une part, d’identifier les mesures appropriées en termes d’accompagnement des secteurs impactés.
Il s’agit en premier lieu, de la suspension des charges fiscales au 31 mars et des charges salariales pour tous les secteurs, sauf ceux ne souffrant pas de la crise. Aussi, l’instauration d’un moratoire sur les échéances bancaires pour les entreprises, en particulier les TPME, avec la condition d’un traitement au cas par cas. Le comité a proposé aussi la suspension des contrôles fiscaux et des Avis à Tiers Détenteur (ATD), et ce jusqu’à nouvel ordre. Il est également question de mettre en place une indemnité de perte d’emploi pour cause de licenciement économique à activer via la caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS).
Enfin, le comité a proposé la mise en place d’un fonds de soutien aux secteurs touchés pour lesquels les mesures précitées ne seront pas suffisantes et de déclarer le Covid-19 comme cas de force majeure s’agissant des marchés publics.
Et suite aux hautes instructions du Roi Mohammed VI, un fonds spécial pour la gestion de la pandémie a été créé à l’effet de prendre en charge les dépenses de mise en niveau du dispositif médical, et de soutenir l’économie marocaine et ses acteurs face aux retombées négatives de cette pandémie. Dans ce cadre, le CVE a décidé l’octroi d’une indemnité forfaitaire mensuelle nette de 2000 DH, en plus du bénéfice des prestations relatives à l’assurance maladie obligatoire et aux allocations familiales, au profit des salariés, des employés sous contrat et des marins pêcheurs en arrêt provisoire de travail, déclarés à la CNSS au titre du mois de février 2020, et relevant des entreprises en difficulté, affiliés à la CNSS, et ce pendant la période allant du 15 mars au 30 juin 2020. Dans le même sillage, et s’agissant des ménages sans aucune couverture sociale et du secteur informel, l’opérationnalisation des mesures décidées à les indemniser est sur la bonne voie.
D’autre ampleur inhabituelle, les mesures publiques cherchent à protéger l’activité et les salariés, pour permettre une sortie de crise rapide. Mais les dégâts seront inévitablement nombreux. Seul l’avenir nous le dira.