Référé, juridictions du fond et arbitrage: L’option de compétence est-elle exclusive ou cumulative ? ; A qui revient la priorité ?
ZAHRAOUI NAIMA
Etudiante chercheuse en doctorat, droit privé en français.
FSJES OUJDA.
Référé, juridictions du fond et arbitrage: L’option de compétence est-elle exclusive ou cumulative ? ; A qui revient la priorité ?
Le premier dilemme auquel est confronté tout plaideur est de déterminer si son affaire relève de la compétence d’une juridiction du fond ou si elle entre dans le champ de compétence du juge des référés. Ce point établi, reste encore à déterminer parmi les catégories de juge des référés celle qui doit être retenue entre toutes.
S’agissant de la seule compétence d’attribution, la complexité de l’organisation juridictionnelle marocaine conduit à distinguer entre juridictions des référés et juridictions du fond (A), ainsi, et cela mérite d’être remarqué, l’option de compétence en faveur du juge des référés reste ouverte même en présence d’une clause compromissoire (B).
A : Juridictions des référés et juridictions du fond
La distinction entre juridictions des référés et juridictions du fond se traduit de différentes manières, de la composition de la juridiction à la portée de la décision rendue en passant par le déroulement de la procédure. Pour une part, elle se traduit également en termes de compétence. Mais, sur ce point précis, la distinction doit être relativisée. En effet, les matières attribuées aux juridictions du fond recoupent largement celles qui sont dévolues aux juridictions des référés.
L’explication est que, en règle générale, les plaideurs se voient offrir une option générale entre une juridiction du fond et une juridiction des référés.
Parler en termes techniques d’une option générale de compétence signifie concrètement qu’un plaideur a toujours le choix entre une juridiction du fond et une juridiction des référés. Ce luxe constitue aujourd’hui la solution de principe. Sauf exception, c’est-à-dire cas de compétence exclusive de la juridiction du fond, pour la même matière litigieuse, un plaideur a toujours à sa disposition deux juges compétents : un juge du fond et un juge des référés. Les deux se voient attribuer la connaissance de matières identiques, même s’ils ne les traitent pas du même point de vue ni avec les mêmes moyens.
Pour en arriver là, le législateur a institué un juge des référés devant la plupart des juridictions et il a attribué à ces juges compétence pour les mêmes matières que la juridiction du fond à laquelle ils sont rattachés. Cependant, même si toute matière relève a priori de la compétence concurrente d’un juge des référés et d’un juge du fond, le bon usage de cette option de compétence conduit à préciser plusieurs points.
En premier lieu, on doit souligner que la compétence du juge des référés est facultative : un plaideur peut toujours préférer s’adresser à la juridiction du fond compétente. Option de compétence veut dire que le plaideur a le choix, donc qu’il peut choisir de ne pas saisir le juge des référés. Au demeurant, dans certains cas, il faut déconseiller d’opter en faveur du référé.
En second lieu, les plaideurs doivent savoir que les compétences des juges des référés et des juges du fond ne peuvent pas toujours être cumulées. Certains voudraient ne pas choisir et pouvoir opter en même temps pour la juridiction du fond et la juridiction des référés, profitant ainsi des avantages de l’une et de l’autre. Concrètement, il s’agit alors de savoir si l’option de compétence en faveur du juge des référés reste ouverte alors qu’une instance au fond vient d’être engagée, c’est-à-dire après que le plaideur a déjà opté en faveur de la juridiction du fond. Globalement, le droit français admet ce cumul de manière libérale. Il existe cependant des exceptions, notamment lorsque la juridiction du fond saisie en premier a désigné un juge de la mise en état.
En effet, en présence d’une option de compétence, un plaideur est-il en droit de ne pas choisir et d’agir en justice en même temps au fond et en référé ? Autrement dit, l’option est-elle exclusive ou cumulative ? En pratique, c’est la question du référé en cours d’instance, question qui se pose chaque fois que, après avoir engagé une instance au fond, un plaideur est confronté à des difficultés appelant une réponse immédiate de la part d’un juge[1].
Certains textes particuliers consacrent expressément la possibilité d’un référé en cours d’instance. Ainsi, en matière de chèque, lorsque le tireur fait opposition en dehors des cas prévus par la loi, l’article 271 du code de commerce, inspiré de l’article L. 131-35, alinéa 4, du code monétaire et financier français, prévoit expressément que le porteur du chèque peut demander au juge des référés la mainlevée de l’opposition” même dans le cas où une instance au principal est engagée”[2]. Mais, s’il existe des textes spéciaux, au Maroc comme en France, aucun texte général ne règle le principe du recours au référé pendant une instance au fond. C’est à la jurisprudence qu’il est revenu de régler ce point de droit.
La position de la Cour de la cassation a évolué. En 1860, la Cour française adopta une position de principe obligeant le juge des référés à renvoyer les parties devant la juridiction du fond saisie en premier[3]. Mais, tout au long du XIXe siècle, la question du référé en cours d’instance fut controversée. Précisément, les tribunaux et les docteurs discutaient de l’exception de litispendance, hypothèse où le même litige est pendant devant deux juridictions de même degré également compétentes pour en connaître[4].
C’est en 1910 que la Cour de cassation française admit le référé en cours d’instance[5]. Depuis, la solution est constante et toute allusion à l’exception de litispendance entre juge du fond et juge des référés est systématiquement rejetée[6]. La doctrine française contemporaine prête à cette solution une portée générale. Selon M. Roger PERROT, “il n’y a jamais litispendance entre une demande en référé et celle qui a été portée devant le juge du fond”[7].
B – Référé et arbitrage
L’étude des rapports entre les juridictions des référés et celles du fond conduit à s’interroger sur le couple référé-arbitrage. De nombreux points de comparaison pourraient être développés entre ces deux dispositifs procéduraux. Mais le développement de cette rubrique portera exclusivement sur les règles de compétence permettant de répartir le contentieux entre juridiction des référés, d’une part, et tribunal arbitral, d’autre part.
Jusqu’à la réforme de l’arbitrage opérée par la loi 08.05 relative à l’arbitrage et la médiation, le code de procédure civile était muet sur la répartition des compétences entre le tribunal arbitral et le juge des référés. C’est donc à la jurisprudence, la doctrine et les textes spéciaux qu’il était revenu de dégager les solutions en la matière[8].
Dans cette perspective, et vue l’importance que dégage le référé en matière des affaires à trancher devant les tribunaux arbitrales et notamment en ce qui concerne l’arbitrage commercial international, le Conseil Internationale de Commerce a, dans ses deux réunions à Vienne en 2005 et à New York en 2016, finis par souligner dans l’article 2/17, que « le référé est, en général, tout procès provisoire précédant la décision arbitrale définitive au litige ».
C’est ainsi que, même en présence d’une convention d’arbitrage, tout plaideur confronté à l’urgence jouit d’une option lui permettant de saisir, à son choix, le tribunal arbitral ou le juge des référés[9]. La seule condition est de justifier du caractère urgent de la saisine[10]. À noter que l’option reste ouverte, quoique limitée, même après l’investiture du tribunal arbitral. Sauf convention particulière, le référé en cours d’arbitrage est donc admis. En somme, on retrouve les grandes lignes de la répartition des compétences entre les référés et les juridictions étatiques du fond.
Une convention d’arbitrage, compromis ou clause compromissoire, ne saurait faire échec à la compétence du juge des référés. Les parties ont la possibilité de saisir, outre la juridiction arbitrale, la juridiction étatique. En termes techniques, il s’agit d’une option de compétence[11].
Solution remarquable, car l’existence d’une convention d’arbitrage constitue, en règle générale, un obstacle à la compétence des juridictions étatiques. Mais le caractère exclusif de la compétence de la juridiction arbitrale ne concerne que les juridictions du fond, point la juridiction des référés. Aux termes de l’article 1449 du code civil français, dans sa rédaction issue du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 : « L’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’État aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire. Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal de grande instance ou de commerce, qui statue sur les mesures d’instruction dans les conditions prévues à l’article 145 et, en cas d’urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d’arbitrage ».
La même solution apparaît en droit européen : jugé par la Cour de justice de l’Union européenne que la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 « est susceptible de fonder la compétence du juge des référés même si une procédure au fond a déjà été engagée ou peut l’être et même si cette procédure devait se dérouler devant des arbitres »[12].
La justification de la compétence du juge des référés est très pragmatique. Lorsqu’un plaideur a besoin d’obtenir rapidement une décision de justice, il peut évidemment saisir le tribunal arbitral.
Toutefois, la répartition des compétences entre le juge des référés, le tribunal arbitral et les juridictions du fond demeure toujours floue et manque d’une réglementation juridique. C’est pour cette raison, qu’une intervention législative dans le domaine est devenue une nécessité imminente.
Bibliographie
Ouvrages :
- FOUCHARD, GAILLARD et GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, 1996, Litec.
- Robert. « L’arbitrage », Dalloz 5eme éd.
- SOLUS et PERROT, Droit judiciaire privé, t. III, Procédure de première instance, 1991, Sirey.
- الرافة وتاب(قاض بالمحكمة الابتدائية بسلا)، “الإجراءات الوقتية والتحفظية بين القضاء والتحكيم”، مطبعة الأمنية الرباط، الطبعة الأولى 2016.
- رشيد وهابي و عبد اللطيف امسادر، القضاء الرئاسي وقضاء الأمور المستعجلة بالمغرب خلال أربع وثمانين سنة (من سنة 1929 إلى سنة 2013)، مطبعة النجاح الجديدة الدارالبيضاء، الطبعة الثانية، السنة 2014.
- – محمد نور شحاتة، “النشأة الاتفاقية للسلطات القضائية للمحكمين” دار النهضة العربية القاهرة 1993.
Thèses :
- PONELLE, Le référé en cours d’instance, thèse, Paris, 1934.
- STRICKLER, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse soutenue en 1993 à Université Robert SHUMAN, de STARSBOURG, Facutlé de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion,.
–
- عبد الله درميش، “التحكيم الدولي في المواد التجارية، رسالة لنيل دبلوم الدراسات العليا في القانون الخاص، جامعة الحسن الثاني كلية الحقوق الدار البيضاء، الموسم الحامعي 1983-1984.
Articles :
- BERCHON, La mainlevée par le juge des référés de l’opposition du tireur au paiement du chèque, RJ com. 1988. 325.
- Zerouki Brahim, « La clause compromissoire », revue al milaf n°9,2019.
- امحمدالبنيحياتي، “قراءة في مشارطة التحكيم”، موضوع قدم في الندوة الدولية التي نظمتها الكلية المتعددة التخصصات بالناظور حول “الوسائل البديلة لفض النزاعات (الوساطة – التحكيم والصلح) منشور بمجلة الحقوق المغربية، سلسلة الأعداد الخاصة 4/2012.
Jurisprudence :
- Civ. 1re, 28 janv. 2015, nos 13-24.742 et 14-11.208, RTD civ. 2015. 700, obs. Cayrol.
- Civ. 4 mai 1910, DP 1910. 1. 385, note Lalou.
- Civ. 2e, 17 mai 1982, Bull. civ. II, n° 75 ; RTD civ. 1983. 588, obs. Normand.
- CJCE 17 nov. 1998, Van Uden, Rec. CJCE I-7091 ;Rev. arb. 1999. 151, note Gaudemet-Tallon.
- 11 mai 1993, Bull. civ. IV, no 185 ; JCP 1994. II. 22275, note Lévy.
- 17 déc. 1860, DP 1861. 1. 299.
- 14 mai 1992, Bull. civ. V, no 312.
[1] . Y.STRICKLER, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse soutenue en 1993 à Université Robert SHUMAN, de STARSBOURG, Facutlé de Droit, de Sciences Politiques et de Gestion, p. 18-40.
– PONELLE, Le référé en cours d’instance, thèse, Paris, 1934.
[2]. رشيد وهابي و عبد اللطيف امسادر، القضاء الرئاسي وقضاء الأمور المستعجلة بالمغرب خلال أربع وثمانين سنة (من سنة 1929 إلى سنة 2013)، مطبعة النجاح الجديدة الدارالبيضاء، الطبعة الثانية، السنة 2014، ص.38 و 39.
– BERCHON, La mainlevée par le juge des référés de l’opposition du tireur au paiement du chèque, RJ com. 1988. 325.
[3] .Req. 17 déc. 1860, DP 1861. 1. 299.
[4] . Y.STRICKLER, Le juge des référés, juge du provisoire, thèse préc., p. 19 s.
[5] .Fr. Civ. 4 mai 1910, DP 1910. 1. 385, note Lalou.
[6] .Fr. Civ. 2e, 17 mai 1982, Bull. civ. II, n° 75 ; RTD civ. 1983. 588, obs. Normand.
– Soc. 14 mai 1992, Bull. civ. V, no 312.
– Com. 11 mai 1993, Bull. civ. IV, no 185 ; JCP 1994. II. 22275, note Lévy.
– Civ. 1re, 28 janv. 2015, nos 13-24.742 et 14-11.208, RTD civ. 2015. 700, obs. Cayrol.
[7] . SOLUS et PERROT, Droit judiciaire privé, t. III, Procédure de première instance, 1991, Sirey, n° 1326.
[8]. الرافةوتاب(قاض بالمحكمة الابتدائية بسلا)، “الإجراءات الوقتية والتحفظية بين القضاء والتحكيم”، مطبعة الأمنية الرباط، الطبع الأولى 2016 ص. 24.
[9]-. عبد الله درميش، “التحكيم الدولي في المواد التجارية، رسالة لنيل دبلوم الدراسات العليا في القانون الخاص، جامعة الحسن الثاني كلية الحقوق الدار البيضاء، الموسم الحامعي 1983-1984، ص.192.
– محمد نور شحاتة، “النشأة الاتفاقية للسلطات القضائية للمحكمين” دار النهضة العربية القاهرة 1993.
-امحمدالبنيحياتي، “قراءة في مشارطة التحكيم”، موضوع قدم في الندوة الدولية التي نظمتها الكلية المتعددة التخصصات بالناظور حول “الوسائل البديلة لفض النزاعات (الوساطة – التحكيم والصلح) منشور بمجلة الحقوق المغربية، سلسلة الأعداد الخاصة 4/2012، ص. 81 و ما يليها.
– J.Robert. « L’arbitrage », Dalloz 5eme éd., p.269 et suiv.
– A. Zerouki Brahim, « La clause compromissoire », revue al milaf n°9,2019,p.18 et suiv.
[10]. الرافة وتاب (قاض بالمحكمة الابتدائية بسلا)، “الإجراءات الوقتية والتحفظية بين القضاء والتحكيم”، مرجع سابق، ص. 14.
[11] . FOUCHARD, GAILLARD et GOLDMAN, Traité de l’arbitrage commercial international, 1996, Litec, nos 1302 s.
[12] . CJCE 17 nov. 1998, Van Uden, Rec. CJCE I-7091 ;Rev. arb. 1999. 151, note Gaudemet-Tallon.