Les ambiguïtés de l’ingérence pour des raisons humanitaires
Par Otmane BEKENNICHE
Maître de conférences
Université de Mostaganem
Summary
The right of interference has no precise legal definition even if two resolutions were passed by the UN General Assembly and specify its application: resolution 43/131 adopted December 8, 1988 establishes a "humanitarian assistance to victims natural disasters and emergencies of the same order "; Resolution 45/100 adopted by the UNGA 14 December 1990 provides for its setting up of "humanitarian corridors". However, if the two texts define the terms of humanitarian assistance, they reiterate the same time the principle of sovereignty.
The vast majority of UN member states did not want to create this "right of interference". It was necessary to find a more neutral. In 2005, the General Assembly adopted a resolution to the "responsibility to protect." Of all the countries in the UN. First, it reiterates that it is a priority to each State to protect its populations on its territory…
الملخص
حق التدخل ليس له تعريف قانوني دقيق حتى لو صدر بهذا الصدد قرارين من قبل الجمعية العامة للأمم المتحدة : قرار 43/131 صادر في 8 ديسمبر عام 1988 خاص بتأسيس "المساعدة الإنسانية لضحايا الكوارث الطبيعية وحالات الطوارئ و قرار 45/100 تبنته الجمعية العامة في 14 ديسمبر 1990 ينص على إقامة "ممرات إنسانية ومع ذلك رغم أن النصين يحددان شروط للمساعدات ألإنسانية إلا أنهما يؤكدان في نفس الوقت مبدأ السيادة. ولما أن الغالبية العظمى من الدول الأعضاء في الأمم المتحدة لا ترغب في "حق ألتدخل كان من الضروري إيجاد صيغة أكثر حيادا. ففي عام 2005، اعتمدت الجمعية العامة قرارا ينص على "مسؤولية ألحماية….
- Histoire du concept du droit d’ingérence
Dans son ouvrage De iure belli ac pacis (1625), Hugo Grotius avait déjà abordé la possibilité d'intervenir dans le cas où un tyran commettrait des actes abominables. L'idée d'aller dans un pays étranger pour y « aider » la population est ancienne : au XIXe siècle, on parlait alors « d'intervention d'humanité ».
En politique internationale, l'idée d'ingérence à des raisons humanitaires est apparue durant la Guerre du Biafra (1967–1970) ([1]). Le conflit a entraîné une épouvantable famine, largement couverte par les médias occidentaux mais totalement ignorée par les chefs d'États et de gouvernement au nom de la neutralité et de la non-ingérence.
Cette situation a entraîné la création d'ONG comme Médecins sans frontières qui défendent l'idée que certaines situations sanitaires exceptionnelles peuvent justifier à titre extraordinaire la remise en cause de la souveraineté des États([2]). Ils font valoir que La souveraineté de l’Etat n’est jamais absolue car elle est limitée par l’obligation de respecter toutes les règles internationales qui s’appliquent à la loi.
Le concept a été théorisé à la fin des années 1980, notamment par le professeur de droit Mario Bettati et l'homme politique français Bernard Kouchner, ancien représentant spécial des Nations Unies au Kosovo et l’un des fondateurs de Médecins sans frontières..
C’est au nom du droit d’ingérence ([3]) que plusieurs États occidentaux sont intervenus au Kurdistan irakien en avril 1991 après que le Conseil de sécurité ait invoqué une « menace contre la paix et la sécurité internationales » (résolution 688 du Conseil de sécurité).
Cependant, les interventions humanitaires qu’il s’agisse de l’opération « Restore Hope », menée en Somalie à partir de la fin 1992 ([4]), l’opération Turquoise menée par la France au Rwanda en 1994, ou encore les interventions armées en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995, au Liberia, en Sierra Leone, en Albanie en 1997 ou l’envoi d’une force d’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 révèlent également l’ambiguïté et la complexité d’interventions parfois autant militaire qu’humanitaire ([5]).
- Définition du droit d’ingérence
Le droit d’ingérence ([6]) n’a pas de définition juridique précise même si deux résolutions ont été votées par l’Assemblée générale des Nations Unies et précisent son application : la résolution 43/131 adoptée le 8 décembre 1988 institue une « assistance humanitaire aux victimes de catastrophes naturelles et de situations d’urgence du même ordre » ; la résolution 45/100 votée par l’AGNU le 14 décembre 1990 prévoit quant à elle la mise en place de « couloirs humanitaires ». Cependant, si les deux textes définissent les modalités d’une assistance humanitaire ([7]), ils réaffirment dans le même temps le principe de souveraineté des États.
La grande majorité des Etats membres de l’ONU ne voulaient pas instaurer ce "droit d'ingérence" ([8]). Il fallait donc trouver une formule plus neutre. En 2005, l'Assemblée générale a ainsi adopté une résolution prévoyant la "responsabilité de protéger". De tous les pays appartenant à l’ONU. Tout d'abord, elle réaffirme que c'est en priorité à chaque Etat de protéger ses populations sur son territoire ([9]).
Si ce n'est pas le cas, alors elle donne la possibilité à l’ONU d'intervenir dans quatre cas, en employant la force si besoin (génocide, nettoyage ethnique, crimes contre l'Humanité et crimes de guerre) ([10]). C'est alors au Conseil de sécurité de décider ou non d'une telle intervention. Sa décision doit être prise à la majorité qualifiée (9 voix sur 15) et sans veto de l'un des cinq membres permanents. Dans ce cas, l'Etat concerné n'a rien à dire, puisqu'il a voté la résolution de 2005 qui enclenche le processus d'intervention.
III. L’ingérence humanitaire entre « droit » et « devoir »
Le droit d’ingérence oppose d’un côté des humanistes qui entendent régir les relations internationales et leurs principes d’action par les droits de la personne et de l’autre les défenseurs des principes de souveraineté et de non-ingérence énoncés par le droit international ([11]). Mais peut-on prétendre qu'il serait licite pour un Etat de « massacrer sa propre population » sous le prétexte que tout ce qui se passe à l'intérieur des frontières relève de ses « affaires intérieures » et donc de sa souveraineté nationale?
La doctrine du "droit d'ingérence" ([12]) tend à prendre le contre-pied de ce système juridique traditionnel, en remettant en cause le concept même de souveraineté sur lequel il s'appuie. Le pouvoir de l'Etat doit en effet plier, au nom d'une "morale de l'extrême urgence", devant les nécessités d'une protection minimale des droits de l’homme.
La souveraineté signifie en outre qu’un Etat qui a violé les droits de la personne ne pourra être traduit en justice que s’il accepte ou a accepté la compétence d’un juge. Il est donc extrêmement difficile d’obtenir la condamnation d’un Etat violateur des droits humains par une juridiction internationale. Et même si on l’obtenait, rien ne garantirait l’exécution du jugement: la souveraineté s’avère incompatible avec l’existence d’une sorte de «police internationale» à l’échelle mondiale.
Cependant, l’argument du «deux poids, deux mesures» est souvent invoqué: comment prétendre qu’une action est humanitaire si elle est visiblement soumise à des impératifs de realpolitik qui sont seuls susceptibles d’expliquer l’immunité de fait dont bénéficient certains Etats violateurs des droits de la personne les plus élémentaires ? Le problème palestinien est le plus souvent cité à cet égard.
Le droit d'ingérence, terme créé par le philosophe Jean-François Revel ([13]) en 1979 est le recours légitimé par un ou plusieurs États agissant de sa ou de leur propre initiative ou sur mandat donné par une communauté internationale d'États comme l’O.N.U. ou par une communauté internationale ou un regroupement organisationnel comme l’O.T.A.N de recourir à la force armée, nationale ou internationale, pour contraindre un État à cesser de porter atteinte aux Droits de l'Homme, que cette atteinte soit exercée contre ses propres citoyens ou contre ceux de pays tiers.
Le devoir d’ingérence, quant à lui, est conçu comme plus contraignant. Il désigne l’obligation morale faite à un État de fournir son assistance en cas d’urgence humanitaire ([14]). Cependant, ni le droit, ni le devoir d’ingérence n’ont d’existence dans le droit humanitaire international :
- Le Pacte de la SDN et le droit d'ingérence
Le Pacte de la SDN, ne contient pas une règle générale d’interdiction du recours à la force. Il pose tout d’abord dans son article 13 que tout « différend susceptible d’entrainer une rupture » doit être soumis à l’arbitrage, à la Cour ou au conseil. Dans le cas où le litige est soumis au Conseil et qui ne parvient pas à le régler par voie de conciliation, il publie un rapport contenant l’énoncé de la solution qu’il a préconisée.
Si ce rapport a été voté à l’unanimité (les parties ne votant pas), les membres de la société s’engagent à ne recourir à la guerre contre aucune des parties qui se conforme aux conclusions du rapport. En revanche, le membre qui recourrait à la guerre, contrairement aux engagements pris serait considéré comme ayant commis un acte de guerre contre tous les membres de la société les autorisant ainsi à agir à son encontre par tous les moyens, y compris le recours aux armes.
Le Pacte contient également une disposition dans son article 15 selon laquelle « Les membres de la société s’engagent à respecter et à maintenir contre toute agression extérieure l’intégrité territoriale et à l’indépendance politique présente de tous les membres de la société ». Une telle disposition paraît bien reposée sur l’idée d’interdiction absolue d’un type de recours à la force.
Par ailleurs, sur un plan général, la SDN a entrepris d’étudier le problème de l’agression. Ce qui a abouti en 1927 au vote par l’assemblée d’une résolution déclarant que la guerre d’agression un crime international. L’évolution de la Société des Nations a donc été dans le sens d’un affermissement de l’idée de l’interdiction de l’agression et par là même l’interdiction de l’ingérence.
- La Charte des Nations Unies et le droit d'ingérence
Les défenseurs de l'ingérence humanitaire la justifient principalement au nom d'une morale de l'urgence ([15]). Elle puise son fondement dans la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Pour eux, une ingérence n'est donc légitime que lorsqu'elle est motivée par une violation massive des droits de l'homme et qu'elle est encadrée par une instance supranationale, typiquement le conseil de sécurité des Nations unies ([16]).
C’est ainsi que pour la première fois au nom du droit d’ingérence que plusieurs États occidentaux sont intervenus au Kurdistan irakien en avril 1991 après que le Conseil de sécurité a invoqué une « menace contre la paix et la sécurité internationales » (résolution 688 du Conseil de sécurité).
Cependant, les interventions humanitaires, qu’il s’agisse de l’opération « Restore Hope », menée en Somalie à partir de la fin 1992 (résolution 794), l’opération Turquoise menée par la France au Rwanda en 1994, ou encore les interventions armées en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995, au Liberia, en Sierra Leone, en Albanie en 1997 ou l’envoi d’une force d’intervention de l’OTAN au Kosovo en 1999 révèlent également l’ambiguïté et la complexité d’interventions parfois autant militaires qu’humanitaires.
Bien que, depuis décembre 1988, la notion d'ingérence humanitaire soit reconnue par le droit international ([17]), certains pensent qu'elle devrait rester dans la sphère des valeurs strictement morales. Cette notion est en effet totalement contraire aux fondements du droit international qui dispose qu'un État n'est lié par une règle de droit que s'il l'a acceptée en ratifiant un traité ou en adhérant à une règle préexistante.
Des lors, hormis les décisions prises par le Conseil de sécurité, le système prévu par la Charte des Nations Unies ne prévoit pas l'usage de la force pour d'autres motifs que la légitime défense. Celle-ci étant individuelle ou collective, elle permet certes l'intervention d'Etats non directement agressés, mais elle est cependant clairement limitée aux cas où un Etat membre est l'objet «d'une agression armée».
Le concept de l'intervention humanitaire, qui, dans sa conception large, autorise l'intervention armée d'un Etat sur le territoire d'un autre Etat pour mettre fin à des violations graves et massives des droits de l'homme, n'a pas sa place dans le système prévu par l'ONU.
Malgré ces réserves, les répressions violentes des minorités kurdes en Irak en 1988, celle de la place Tienanmen en 1989 en Chine, les massacres du Rwanda en 1994 ou encore ceux de Srebrenica en 1995 ont conduit à un consensus, au sein des instances de l’ONU notamment, pour inscrire dans leur mandat les conditions d’intervention en cas de violences massives, imminentes ou répétées des droits de la personne.
"Le droit à la souveraineté des États est actuellement redéfini […] En même temps, la souveraineté de la personne […] a été renforcée par une prise de conscience accrue des droits de l’homme", soulignait Kofi Annan en 1999. Dans son rapport du Millénaire en 2000, le Secrétaire général de l’ONU appelait à instaurer une exigence morale faite au Conseil de sécurité pour agir au nom de la communauté internationale contre les crimes contre l’Humanité.
Relevons que dans son projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité, la Commission du droit international de l'ONU mentionne aussi bien «tout acte d'agression, y compris l'emploi par les autorités d'un Etat de la force armée contre un autre Etat à des fins autres que la légitime défense nationale ou collective ou, soit l'exécution d'une décision, soit l'application d'une recommandation d'un organe compétent des Nations Unies» ([18]) que «les actes inhumains, tels que l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou les persécutions, commis contre des éléments de la population civile pour des motifs sociaux, politiques, raciaux, religieux ou culturels, par les autorités d'un Etat ou par des particuliers agissant à l'instigation de ces autorités ou avec leur consentement».([19])
L'intervention étatique unilatérale étant réservée à la sauvegarde de l'indépendance nationale, il n'est pas envisagé d'autre choix, si des crimes tels que ceux définis à l'article 2, paragraphe 11 ([20]) sont commis, que de faire fonctionner le système international fondé sur la Charte.
Toutefois, dans les conditions actuelles, l’action humanitaire reste ambiguë. C'est pour la première fois au nom du droit d'ingérence que plusieurs États occidentaux sont intervenus au Kurdistan irakien en avril 1991 après que le Conseil de sécurité a invoqué une « menace contre la paix et la sécurité internationales » ([21]).
Cependant, les interventions humanitaires, qu'il s'agisse de l'opération « Restore Hope », menée en Somalie à partir de la fin 1992 ([22]), l'opération Turquoise menée par la France au Rwanda en 1994, ou encore les interventions armées en Bosnie-Herzégovine en 1994-1995, au Liberia, en Sierra Leone, en Albanie en 1997 ou l'envoi d'une force d'intervention de l'OTAN au Kosovo en 1999, se sont souvent soldées par de nombreuses pertes en vies humaines, majoritairement des civils ([23]).
De plus, quand les promoteurs de l’action humanitaire à travers les ONG ne sont pas instrumentalisés, ils sont récupérés aux intérêts des grandes puissances. Il en résulte un amalgame fâcheux entre interventions humanitaires et militaires ([24]).
- Ingérence humanitaire ou agression militaire?
En droit international classique, l’ingérence humanitaire est licite à deux conditions ([25]). La première réside dans la proportionnalité de l’action d’humanité au but à atteindre. La seconde sous-entend la cessation de l’action d’humanité dès que le but est atteint. Si non, il y a abus de droit. Toutefois, depuis 1945, il y a eu de fréquents recours à la force justifiés par des motifs autres que ceux considérés comme certainement licite sans que l’organisation des Nations Unies manifeste de façon claire sa condamnation.
La résolution 3314 donne une liste -non limitative- d’actes dont il n’est pas contestable qu’ils participent de la notion d’agression : invasion, bombardement, blocus, toutes formes d’attaques par des forces armées venant de l’extérieur ou déjà stationnées « en vertu d’un accord » sur les territoires de l’Etat concerné, des bandes, groupes armés, forces irrégulières, mercenaires.
Il faut signaler que la Charte de Nations Unies et les résolutions ont dans la ligne traditionnelle, insisté particulièrement sur l’agression qui a pour but de réaliser une conquête territoriale ou de porte atteinte à l’indépendance d’un Etat. Mais il va de soi que tout acte d’agression, même inspiré par un autre objectif notamment le droit d’ingérence, est illicite.
Dans le même sens, la résolution 2625 ([26]) dispose que : « Aucun Etat ni groupe d’Etats n’a le droit d’intervenir directement ou indirectement, pour quelques raisons que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d’un autre Etat. En conséquence, non seulement l’intervention armée, mais aussi toute autre forme d’ingérence ou toute menace, dirigée contre la personnalité d’un Etat ou contre ses éléments politiques, économiques et culturels, sont contraire au droit international. Aucun Etat ne peut appliquer ni encourager l’usage de mesures économiques, politiques ou de toute autre nature pour contraindre un autre Etat à subordonner l’exercice de ses droits souverains ou pour obtenir de lui des avantages de quelque ordre que ce soit ». Il ressort donc de cette résolution que :
– Chaque Etat a le devoir de s’abstenir d’organiser ou d’encourager l’organisation de forces irrégulières ou de bandes armées en vue d’incursion sur le territoire d’un autre Etat ;
– Chaque Etat a le devoir de s’abstenir d’organiser ou d’encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorisme sur le territoire d’un autre Etat, d’y aider ou d’y participer ou de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels actes.
- L’ingérence pour causes juridiques
- La légitime défense
La charte des Nations Unies a confirmé l’exception de la légitime défense ([27]). Cette action est conforme au droit international si elle a pour objet de mettre fin à un danger menaçant la sécurité de l’Etat ou ses intérêts essentiels et si elle reste proportionnée à la menace.
- L’action des Nations Unies
Le recours à la force dans le cadre d’une action des Nations Unies n’est pas illicite. C’est le cas de l’intervention dans l’intérêt de l’humanité en vue de combattre les actes barbares contraires à la morale ou aux principes universellement reconnues de justices.
- L’exercice du droit des peuples à disposer d’eux même
Les cas de recours à la force qui ont un lien avec l’exercice du droit à disposer d’eux même, ne sont pas illicites.
- Eléments de scepticismes liés au droit d’ingérence
L’ambiguïté majeure du droit d’ingérence tient aux motivations d’une telle intervention par des États mobilisés par la promotion de leurs intérêts nationaux. En effet, les ingérences humanitaires effectuées au Timor ou en Yougoslavie ont révélé les logiques stratégiques et politiques des États intervenants. Aussi, la remise en cause du principe de souveraineté a rencontré l’opposition des pays les plus pauvres. Réunis lors du sommet de la Havane en 2000, les chefs d’État du G-77([28]) ont rejeté le « droit d’intervention humanitaire » incompatible selon eux avec la Charte des Nations unies.
La vive réaction des juristes vis-à-vis de ce concept est liée au fait que le droit d’ingérence a des contours juridiques flous et il n’a pas pris consistance dans le droit international. En effet, les partisans et détracteurs du droit d’ingérence s’opposent autour de la tension entre la légitimité et la légalité de l’ingérence.
Pour les partisans du droit de l’ingérence, l’ingérence humanitaire est légale parce que légitime. Elle gagne sa licéité par l’adjectif « humanitaire » qu’on lui accole. Les seconds, à l’inverse, refusent toute légitimité à une ingérence qui n’aurait aucun fondement légal. De fait, la notion de « droit d’ingérence » porte dans sa formulation même une contradiction juridique qui souligne les difficultés et les ambiguïtés de sa mise en application. L’idée de droit d’ingérence s’est construite en opposition avec les principes fondamentaux de souveraineté et de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État.
Tolérer l'ingérence humanitaire reviendrait à créer une grande incertitude dans les relations internationales, risquerait de nuire à tout le système de sécurité mis en place sur la base de la Charte des Nations Unies, et, enfin, porterait des risques manifestes d'abus, les violations des droits de l'homme pouvant donner prétexte à intervenir avec d'autres desseins.
Plus fondamental que ce problème de droit, l'ingérence humanitaire souffre d'un certain nombre de contradictions qui sont principalement dues à la confusion volontairement entretenue entre droit et devoir d'ingérence. Il est en effet difficile dans ces conditions de séparer les mobiles humanitaires, des mobiles politiques et de s'assurer du total désintéressement des puissances intervenantes.
En dépit des idées généreuses du concept, qui place au premier rang des valeurs comme la démocratie ou le respect des droits de la personne humaine, il a dès l'origine suscité le questionnement, voire la critique ([29]). Dans les faits, une mission d'ingérence est parfois contraire aux objectifs fondamentaux de la Charte des Nations Unies dont l'article 2.7([30]) stipule « Aucune disposition de la présente charte n'autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un État ».
Il est donc logique qu'une remise en cause aussi dissymétrique de la souveraineté des États se heurte à des réticences très fortes. Ainsi le sommet du G-77([31]), qui réunit les états les plus pauvres, a condamné en 1990 le « prétendu droit d'intervention humanitaire » mis en avant par les grandes puissances.
Conclusion
Le « droit d'ingérence » exprime une conception nouvelle des relations internationales qui n'est pas cohérente avec des principes en usage dans le droit internationa[32]l. Le droit international, au gré de l'Histoire, reconnaît depuis le Traité de Westphalie (1648) la souveraineté nationale aux Etats. Cependant, les thèmes de « nouvel ordre mondial », de « gouvernance globale » ont affleuré, tendant à montrer que le modèle westphalien de l'Etat est en passe d'être entériné. Dans ce sens, réunis lors du sommet du G-77([33]) de la Havane en 2000, les Etats les plus pauvres de la planète ont rejeté le « droit d’intervention humanitaire » comme incompatible avec la Charte des Nations unies. Quel cadre juridique ? Quelles limites ?
La notion d'ingérence de la communauté internationale envers les Etats tient à plusieurs visions différentes de l'humanitaire et de la communauté internationale. Le concept de « droit d'ingérence » est parfois utilisé à mal escient. En effet, la guerre n'est pas le nécessaire prolongement de la politique et de la diplomatie. Les États qui se rangent dans le camp des Droits de l'Homme ([34]) ont d'autres moyens pour contraindre ceux qui ne les respectent pas. Il s’agit des pressions et sanctions diplomatiques ; les pressions et sanctions économiques et financières; l'aide au développement…etc.
Bien qu’il n’est pas clairement défini, le concept « droit à l’assistance » semble aujourd'hui prendre le pas sur les expressions «droit d'ingérence» ou «devoir d'ingérence». Les articles des Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels de 1977, sans parler des autres conventions relevant du droit international humanitaire, ne sont, en réalité, que l'expression articulée sur le plan juridique du concept de droit à l'assistance pris dans un sens large. Le juriste y préférera l’expression “droit d’assistance humanitaire” davantage finalisée et moins chargée de cette subjective et implicite confrontation, au demeurant erronée, avec les normes de l’anticolonialisme que sont les principes de “non intervention” et de “non ingérence”»
bibliographie
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[1] Jacques Mourgeon, L’intervention internationale à titre humanitaire, Journal du droit international, 121 (3), juillet-août-septembre 1994, pp. 643-652.
[2] Kofi N Annan., Deux concepts de la souveraineté, in Le Monde, 22 septembre 1999, p20.
[3]Afsane Bassir Pour, Alain Frachon, « le droit d'ingérence contre le principe de souveraineté » in Le Monde, 21 octobre 1999, p.15.
[4] Voir résolution 794 du Conseil de sécurité.
[5] BUJON de L'ESTANG François, Ingérence humanitaire et diplomatie, in Revue des Deux Mondes, juin 1993, pp.113-128.
[6] Mario Bettati et Bernard Kouchner, Le Devoir d’ingérence, Paris, Denoël, 1987.
[7] Yves Sandoz, Droit ou devoir d’ingérence, droit à l’assistance : de quoi parle-t-on ?, Revue Internationale de la Croix Rouge, n°795, pp. 225-237.
[8] Philippe Moreau Desfarges, Un monde d’ingérences, Paris, Presses de Science po, La bibliothèque du citoyen », 1997.
[9] Douglas T. Stuart, Droits de l’homme : Concilier le principe de non-intervention et les droits de l’homme, Chronique de l’ONU, édition en ligne, numéro 2, 2001.
[10] Pierre de Senarclens, L’Humanitaire en catastrophe, Paris, Presses de Science po, 1999.
[11] Mario Bettati, Le Droit d’ingérence : mutation de l’ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996.
[12] Mario Bettati, « Le droit d’ingérence : sens et portée », Le débat, novembre-décembre 1991, numéro 67, p.5.
[13] Jean-François Revel, Le devoir d'ingérence est en train de devenir un droit, in Le Monde, 26 novembre (supplément), propos recueillis par Jean-Pierre Langellier.
[14] Donatalla Luca, « Intervention humanitaire : questions et réflexions », International Journal of Refugee Law, 5(3), 1993, pp. 424-441.
[15] Olivier Corten, Les ambiguïtés du droit d’ingérence humanitaire, Le courrier de l’UNESCO, août 1998.
[16] Yves Sandoz « Droit ou devoir d’ingérence, droit à l’assistance : de quoi parle-t-on ? », Revue Internationale de la Croix Rouge, n°795, pp. 225-237.
[17] Olivier Fourcade, "Les missions humanitaires et d’interposition devant l’histoire", La revue Tocqueville, vol. 17, m°1, 1996, pp 39-52.
[18] Voir l'article 2, chiffre 1.
[19] Voir l'article 2, chiffre 11.
[20]Voir l'article 2, paragraphe 11.
[21] Voir résolution 688 du Conseil de sécurité.
[22] Voir résolution 794 du Conseil de sécurité.
[23] Robert Charvin, « La guerre anglo-américaine contre l’Irak et le droit international : « Apocalypse Law », Actualité et droit international, avril 2003.
[24] Alain Pellet, « Droit d’ingérence ou devoir d’assistance humanitaire », Problèmes politiques et sociaux, Paris, LA Documentation française, 1995, pp 758-759.
[25] Olivier Corten et Pierre Klein, Droit d’ingérence ou obligation de réaction ?, Bruxelles, Bruylant, 2e édition, 1996.
[26] Voir résolution 2625 du Conseil de sécurité.
[27] Article 15 de la charte des Nations Unies.
[28] Déclaration des Chefs d’Etats du G-77 à a Havane en 2000.
[29] Robert Redeker, « L'humanitaire et la guerre à la place du politique » in Les Temps Modernes, mai-juin 1999, n°604, pp.13-17.
[30] Article 2 paragraphe 7 de la Charte des Nations Unies dont.
[31] Déclaration des Chefs d’Etats du G-77 à a Havane en 1990.
[32] Olivier Paye, Sauve qui veut ? Le droit international face aux crises humanitaires, Bruxelles, Bruylant, 1996.
[33] Déclaration des Chefs d’Etats du G-77 à a Havane en 2000.
[34] Douglas T. Stuart, Droits de l’homme : Concilier le principe de non-intervention et les droits de l’homme, Chronique de l’ONU, édition en ligne, numéro 2, 2001.