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La relation temporelle entre le contrat et la loi

 

La relation temporelle entre le contrat et la loi

Abdelhak Elfakir

Doctorant au Laboratoire Doit des Affaires – FSJES Settat

Le temps est un milieu abstrait, infini et relatif à l’intérieur duquel se succèdent tous les événements de l’univers. Ce concept énigmatique[1], théorique, paradoxal[2] et aporétique[3] connait autant de définitions. Quelles que soient les définitions que l’on y donne, elles demeurent nombreuses. Au-delà de la difficulté de définir ce qu’est le temps, cela témoigne de ce que la perception du temps est d’abord instinctive et intuitive. De la même façon, on perçoit d’instinct que le temps et le droit entretiennent des rapports étroits.

Alors que le Dahir formant Code des Obligations et Contrats ne s’abstrait manifestement pas de la durée, on peut s’étonner que celle-ci ne fasse pas partie des éléments constitutifs traditionnels des contrats. La durée des contrats prend, en effet, une place bien discrète parmi les dispositions du DOC. Le présent dahir issu du Code de Napoléon ainsi que du Code Civil Français, ses auteurs n’y avaient manifestement pas attaché une grande importance[4]. Les articles 1102 et suivants du Code Civil Français ne font pas de la durée un critère de distinction entre les contrats, similairement à l’article 319 du DOC qui ne fait pas figurer l’expiration du terme contractuel parmi les causes d’extinction des obligations[5].

Toutefois, les articles 138 et suivants du DOC traitent bien des obligations à terme, mais le terme dont il y est question a un caractère suspensif et vise à retarder l’exécution de l’obligation dans l’intérêt de son débiteur, alors que la durée a pour objet de déterminer l’extinction de l’obligation dans l’intérêt du créancier, voire des deux parties.

Le législateur Marocain n’a pas défini le contrat en droit des obligations et contrats, contrairement à son homologue français qui le définit comme étant un acte juridique[6] par lequel une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose[7]. Autrement dit, et conformément à l’énoncé du titre premier, dans son premier chapitre, le Dahir formant Code des Obligations et Contrats considère que le contrat est une obligation conventionnelle. Cette confusion est contestée dans la mesure où le contrat est la source de l’obligation conventionnelle[8].

L’auteur Wéry définit le contrat comme l’accord de volontés manifestées entre deux ou plusieurs personnes, destiné à produire des effets de droit, qu’il s’agisse de donner naissance à des obligations, de transférer un droit subjectif, de modifier ou d’éteindre un droit ou une convention préexistant[9]. Plus succinctement, l’auteur Van Ommeslaghe le définit comme un accord entre deux ou plusieurs volontés en vue de produire des effets juridiques de nature patrimoniale[10].

Le contrat s’insère dans le temps au même titre que tous les faits, fussent-ils juridiques. Il est très naturellement soumis à la loi en vigueur au jour de sa conclusion. Cette insertion dans le temps ne semble pas susciter beaucoup de questions en ce qui concerne les contrats instantanés. Il est incontestable que le législateur dispose du pouvoir d’adapter et de modifier toute législation existante et ces modifications ont en règle un effet immédiat. Dans les contrats de durée, la modification de la loi en cours d’exécution pose la question du conflit des lois dans le temps[11]. Trois hypothèses sont concevables : la loi nouvelle a un effet rétroactif, un effet immédiat[12] ou exclusif, ou encore un effet différé. En règle, si une réglementation nouvelle est immédiatement applicable à tous les effets futurs de situations nées sous l’empire de la règlementation antérieure, elle ne peut être rendue applicable aux situations antérieures définitivement accomplies. S’il parait évident qu’une modification des éventuelles conditions de formes ne peut recevoir aucun effet rétroactif, les modifications des règles de fond posent de bien délicates questions.

En effet, le législateur est tenu dans l’activité législative, de respecter le principe de la non-rétroactivité de la loi, à la seule exception permise, celle de la loi pénale ou contraventionnelle plus favorable. En ce qui concerne l’application de la loi dans le temps et la règle de la non-rétroactivité des lois, il faut tenir compte des deux principes suivants : d’une part, la nouvelle loi doit être préférée à l’ancienne loi pour la double raison que théoriquement, elle réalise ou est destinée à réaliser un progrès social, de meilleures conditions et que, à cette fin, ses préceptes doivent en principe avoir un pouvoir civil obligatoire, uniforme pour tous (I). Mais, d’autre part, la sécurité des relations sociales et l’assentiment dont la loi doit réjouir dans le sens de justice éprouvé par tous demandent nécessairement que la nouvelle loi ne détruise pas ou ne modifie pas, sans un motif sérieux d’ordre civique élevé, les états de droits qui, lorsque la nouvelle loi entre en vigueur, étaient déjà traduits en actes de volonté et en rapports définitivement conclus et valides selon la loi en vigueur au moment de la conclusion (II).

  • La loi nouvelle est présumée meilleure que l’ancienne par essence

L’entrée en vigueur d’une loi nouvelle correspond à  des nécessités politiques et sociales.  Pour ces raisons, la loi nouvelle est toujours réputée meilleure que la précédente et abroge, même implicitement la loi antérieure régissant le même domaine du droit.

S’il parait évident qu’une modification des éventuelles conditions de formes ne peut recevoir aucun effet rétroactif, les modifications des règles de fond posent de bien délicates questions. C’est en délimitant la sphère de la rétroactivité des lois nouvelles (A) que l’on peut cerner les conditions dans lesquelles la rétroactivité de la loi peut être mise en œuvre (B).

  • La non rétroactivité des lois nouvelles

La loi nouvelle ne reçoit, en principe, aucun effet rétroactif. L’article 2 du Code Civil Français[13] affirme clairement que la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif. Autrement dit, la nouvelle loi est immédiatement applicable à tous les effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi antérieure. La nouvelle loi s’applique non seulement aux situations qui naissent à partir de sa mise en vigueur, mais encore aux effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure ou se prolongeant sous l’empire de la loi nouvelle. Un tel principe garantit une certaine sécurité des relations conventionnelles.

Selon l’auteur Page, le principe de la non-rétroactivité des lois est la sauvegarde indispensable des intérêts individuels, et la base fondamentale de la sécurité juridique. Il serait inadmissible, économiquement et socialement, que les droits des citoyens, leur fortune, leur condition personnelle, les effets de leurs actes et de leurs contrats, puissent à chaque instant être modifiés, contestés ou supprimés par un changement de législation. Ceux qui se sont conformés à la loi en vigueur au moment où ils ont agi, doivent conserver le prix de la confiance qu’ils lui ont faite. Sans ce gage de stabilité, toute vie juridique deviendrait impossible. On ne contracterait plus, on n’agirait plus, puisqu’on n’aurait aucune certitude de conserver le bénéfice de son activité[14].

Ceci démontre bien que la rétroactivité[15], c’est le non droit. La rétroactivité se définit comme la production des effets d’un acte accompli ou d’un fait survenu, à une date antérieure à sa survenance ou à son accomplissement[16]. L’auteur Ripert s’explique sur le fait que si la loi avait alors attribué ces conséquences à mon acte, je n’aurais pas agi ainsi, parce que j’étais libre de ne pas agir. Si donc une loi postérieure frappe rétroactivement l’action libre d’un individu, la volonté de celui-ci est transformée en une autre nature. Une loi ainsi faite a, ex post, pour effet que l’individu a voulu et fait autre chose qu’il n’a voulu, lui fait violence, ce n’est même pas une loi, c’est le non droit absolu, la destruction de l’idée de droit en général[17]. La rétroactivité ne constitue pas un retour en arrière. Elle n’a pas pour objet de faire produire les effets de la situation juridique dans le passé[18] mais à l’égard du passé[19].

Ainsi, la survie de la loi ancienne garantit une certaine stabilité du contrat, car le but du législateur est de veiller à ce que les contractants puissent sereinement maintenir leur contrat dans le temps. La sécurité juridique représentant l’âme du droit, est considérée être  vitale[20] puisqu’elle touche un principe de droit constitutionnel[21], également par rapport à la convention européenne des droits de l’homme[22]. Son élévation au rang de principe constitutionnel est justifiée par le fait qu’elle assure, dans les meilleures conditions, la sécurité juridique et la confiance des citoyens dans le système judiciaire et par le fait qu’elle bloque le manquement à la séparation entre le pouvoir législatif, d’une part, et le pouvoir judiciaire ou exécutif, d’autre part, en contribuant ainsi au renforcement de l’État de droit.

Pourtant, le principe de la non rétroactivité est consacré comme étant un principe fondamental de sécurité juridique et de continuité qui exige que le contenu du droit doive être prévisible et accessible, de sorte que le justiciable doit raisonnablement pouvoir prévoir les conséquences d’un acte juridique au moment ou il est posé. Par ailleurs, la délimitation de la sphère de la rétroactivité comme caractéristique des effets d’une situation juridique repose sur un besoin de sécurité juridique[23]. C’est pour cela que deux contractants faisant aujourd’hui un contrat pur et simple ne peuvent pas dans leurs rapports avec les tiers dire qu’il rétroagira jusqu’à une date choisie par eux[24]. Cette inopposabilité de la rétroactivité ne fait pas pour autant disparaître son existence dès lors qu’il y a report des effets de la situation juridique à une date antérieure à son accomplissement dans les rapports entre les contractants tout au moins.

C’est ainsi que la rétroactivité peut uniquement être justifiée lorsqu’elle est indispensable pour réaliser un objectif d’intérêt général. S’il s’avère en outre que la rétroactivité a pour effet que l’issue de l’une ou l’autre procédure judiciaire est influencée dans un sens déterminé ou que les juridictions sont empêchées de se prononcer sur une question de droit bien déterminée, la nature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles ou des motifs impérieux d’intérêt général justifient l’intervention du législateur, laquelle pour atteinte, au préjudice d’une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous.

  • La rétroactivité de la loi et ordre public

Le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, il est tenu d’examiner la nature juridique des faits et actes allégués par les parties et peut, quelle que soit la qualification juridique donnée par les parties, compléter d’office les motifs qu’elles ont invoqués à la condition qu’il ne soulève pas de contestation dont les parties ont exclu l’existence dans leurs conclusions, qu’il se fonde exclusivement sur des éléments qui lui ont été régulièrement soumis, qu’il ne modifie pas l’objet de la demande et qu’il ne viole pas les droits de défense des parties.

 Par un accord explicite sur la procédure, les parties peuvent lier le juge sur un point en droit ou en fait auquel elles veulent limiter les débats. Un tel accord n’empêche toutefois pas que le juge, respectant les droits de défense, soulève l’application de dispositions d’ordre public, fussent-elles contraires à l’accord sur la procédure. Il ne permet toutefois pas au juge de modifier, sur ces motifs, l’objet du litige tel qu’il a été délimité par les parties. Lorsque les parties limitent le litige à l’exécution du contrat et que le juge rejette la demande tendant au respect de ce contrat sur la base de sa nullité du chef de violation de l’ordre public, il ne modifie pas l’objet de la demande, mais il applique des dispositions d’ordre public que les parties ont voulu exclure.

Les lois qui créent ou modifient une situation juridique individuelle, créent des droits acquis qui ne peuvent pas être touchés par des lois consécutives. Les situations devenues définitives sous l’empire de la loi ancienne échappent à la loi nouvelle, celle-ci fut-elle d’ordre public[25].

Une certaine rétroactivité est parfois opportune, car, toute loi nouvelle étant, en principe, présumée meilleure que l’ancienne, il peut relever de l’intérêt général que son domaine d’application soit le plus large possible. C’est pourquoi on rencontre assez souvent une rétroactivité mesurée, qui permet de faire produire certains effets à la loi nouvelle, relativement à des situations nées antérieurement, tout au moins tant que n’est pas intervenue une décision de justice passée en force de chose jugée.

Seule la loi peut organiser la rétroactivité. Toutefois, deux corollaires assortissent la présomption de non rétroactivité de la loi nouvelle. D’une part, le juge saisi d’une loi nouvelle qui ne contient aucune indication quant à son application dans le temps, a l’obligation de l’appliquer d’une manière non rétroactive. D’autre part, si la rétroactivité de la loi est certaine, il appartient au juge de l’accueillir restrictivement. Il faut, pour cette dernière hypothèse, une volonté de rétroactivité dument établie de la part du législateur. Une loi ne peut être appliquée rétroactivement par le juge qui si le législateur exprime, sans détour, l’effet rétroactif qu’il assigne aux normes qu’il édicte ou si l’on peut déduire, de manière certaine, la volonté de rétroactivité du législateur de l’économie du texte adopté.[26]

Celle-ci peut cependant résulter tacitement de la loi, en raison de son caractère d’ordre public. C’est-à-dire que lorsqu’une disposition légale d’ordre public est modifiée par une loi ayant aussi le caractère de loi d’ordre public, cette dernière est, en principe, applicable aux effets de situations nées avant son entrée en vigueur, qui se produisent ou se prolongent après cette entrée en vigueur.

Cependant, il appartient au juge d’examiner si l’ordre public risque d’être sérieusement compromis par la survivance, entre parties, de droits antérieurs et de refuser, le cas échéant, d’appliquer la loi nouvelle malgré le caractère d’ordre public attaché aux dispositions nouvelles. C’est que le caractère d’ordre public est en principe sans incidence sur la fonction temporelle des normes nouvelles. Dans le doute, il appartient au juge de comparer les situations de droit et de formuler une balance des intérêts en présence.

La loi interprétative est présumée concorder avec la loi interprétée[27] et reçoit donc, en réalité, une application rétroactive, ce qui peut être totalement inéquitable. Sous réserve des règles applicables en droit pénal et du respect des décisions de justice passées en force de chose jugée, l’effet rétroactif qui s’attache à une disposition législative interprétative est justifié lorsque la disposition interprétée ne pouvait, dès l’origine, être raisonnablement comprise autrement que de la manière indiquée dans la disposition interprétative. Si tel n’est pas le cas, la décision dite interprétative est, en réalité, une disposition rétroactive pure et simple, et sa rétroactivité ne peut se justifier que lorsqu’il est satisfait aux conditions auxquelles la validité d’une telle disposition est subordonnée. La rétroactivité de dispositions législatives, qui est de nature à créer de l’insécurité juridique, ne peut se justifier que lorsqu’elle est indispensable au bon fonctionnement ou à la continuité du service public. S’il s’avère, en outre, que la rétroactivité de la norme a pour effet d’influencer, dans un sens déterminé, l’issue d’une ou de plusieurs procédures judiciaires ou d’empêcher les juridictions de se prononcer, la nature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles ou des motifs impérieux d’intérêt général justifient cette intervention du législateur qui porte atteinte, au détriment d’une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous.

La règle de la non rétroactivité des lois favorise la sécurité juridique en ce qu’elle permet à chacun de prévoir raisonnablement les conséquences d’un acte déterminé au moment ou il est exécuté. Il est de l’essence même d’une loi interprétative de rétroagir jusqu’à la date d’entrée en vigueur des dispositions législatives qu’elle interprète. Une loi interprétative est en effet une loi qui confère à une disposition légale le sens qu’elle aurait du, selon le législateur, acquérir dès son adoption. La garantie qu’implique la non rétroactivité des lois ne peut toutefois être contournée par le simple fait qu’une loi à effet rétroactif serait présentée comme une loi interprétative. Indépendamment du droit pénal, la force rétroactive résultant d’une disposition législative interprétative est justifiée dans la mesure où, depuis son origine, la disposition interprétée ne pouvait raisonnablement être comprise dans un autre sens que celui imposé par la disposition interprétative. Si tel n’est pas le cas, la prétendue disposition interprétative n’est en réalité qu’une disposition rétroactive soumise aux conditions prévues pour justifier la rétroactivité.

  • Le principe de l’effet immédiat

   

Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle connaît des aménagements lorsqu’il porte sur un contrat. En matière contractuelle, le principe est inversé et devient celui de l’application de la loi ancienne aux contrats en cours (B). Mais ce principe est écarté dans un certain nombre de cas : on revient alors à la règle de l’application immédiate de la loi nouvelle (A).

  • L’application immédiate de la loi en droit commun

 

En règle, une loi nouvelle s’applique non seulement aux situations qui naissent à partir de son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs des situations nées sous le régime de la loi antérieure qui se produisent ou se prolongent sous l’empire de la loi nouvelle[28], pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits acquis ou déjà irrévocablement fixés[29] ou ne s’avère pas discriminatoires.

En d’autres termes, la nouvelle loi est applicable non seulement aux situations nées postérieurement à son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs de situations nées sous l’empire de l’ancienne loi se produisant ou perdurant sous la nouvelle loi pour autant qu’il ne soit pas ainsi porté atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. Il est toutefois dérogé à cette règle lorsque l’application immédiate de la loi nouvelle porterait atteinte à des situations antérieures définitivement accomplies.

Il est question de droits acquis lorsque le tribunal estime que la stabilité d’une situation de droit donnée mérite protection[30], lorsque la nouvelle loi violerait les droits qui sont acquis en vertu des dispositions qui sont modifiées.

Parfois, l’application de la loi ancienne, en principe justifiée par le nécessaire respect de la liberté contractuelle et des prévisions légitimement faites par les cocontractants au moment de leur engagement, est écartée par la Cour de Cassation Française au terme d’une analyse de l’origine de l’obligation ou du droit dont l’exécution est demandée : si elle est légale, la loi nouvelle s’applique immédiatement, si elle est contractuelle, il en va différemment.

  • L’application immédiate de la loi nouvelle

                                en cours d’exécution du contrat

 

 

En outre, le législateur et les juges admettent parfois l’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours. La loi peut en effet prévoir expressément qu’elle s’appliquera à tous les contrats en cours. Parmi les exemples, existe le droit au bail commercial[31].  Toutefois, l’application immédiate de la loi nouvelle systématique engendrerait outre une incertitude constante pour les parties, une insécurité juridique pour le contrat. Cependant, il convient de souligner que l’application immédiate de la loi nouvelle constitue une force protectrice et non destructive. En effet, les cas ou la loi s’applique immédiatement visent le plus souvent un meilleur équilibre des forces au sein du contrat. Aussi la jurisprudence française participe à cette tendance en se fondant sur l’article 2 du Code Civil[32]. Toutefois, le critère de l’ordre public demeure contesté et reste peu utilisé par les juges.

Prenons par exemple la matière des obligations et contrats, et supposons que le législateur procédera à la réforme de la prescription dont laquelle il prévoira pour une action un délai inférieur au délai prévu par le présent Dahir des Obligations et Contrats, et que le droit en question est né avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, le nouveau délai de prescription prend cours, au plus tôt, au moment ou la loi nouvelle entre en vigueur, sans toutefois faire obstacle à la prescription acquise en application de l’ancienne loi.

Ainsi, le contrat est régi par la loi qui existe au moment de sa conclusion. Sa validité doit être appréciée sur la base de la loi applicable au moment ou il est né. La loi postérieure à la conclusion du contrat ne trouve pas à s’appliquer aux effets futurs ou continués[33] des contrats préexistants, à moins quelle ne prescrive expressément son application aux contrats en cours[34] ou qu’elle ne touche à l’ordre public.

En règle, la nouvelle loi est applicable non seulement aux situations nées postérieurement à son entrée en vigueur mais aussi aux effets futurs de situations nées sous l’empire de l’ancienne loi se produisant ou perdurant sous la nouvelle loi pour autant qu’il ne soit pas ainsi porté atteinte à des droits déjà irrévocablement fixés. En matière contractuelle, l’ancienne loi reste applicable, sauf si la nouvelle loi est d’ordre public ou impérative ou si elle prescrit expressément son application aux contrats en cours. L’ancienne loi ne s’applique toutefois pas lorsqu’il s’agit de l’application de règles concernant l’opposabilité aux tiers[35].

La règle d’exception qu’en matière contractuelle, la loi ancienne demeure applicable, ne concerne que les effets juridiques des contrats en cours. Par exemple, la validité d’un contrat de mariage doit être appréciée sur la base de la loi applicable au moment ou ce contrat est né. La loi ancienne survit à s’appliquer au contrat préexistant[36]. Les effets futurs du contrat né sous l’empire de la loi ancienne continuent à être régis par cette loi et ne peuvent être modifiés par une loi postérieure[37] afin de ne pas porter atteinte aux prévisions[38] ou aux droits acquis par les parties.

Comme souvent, les principes s’effacent devant les nécessités de la vie. Une application aveugle du principe de non application au contrat de longue durée en cours d’exécution condamne la société à l’immobilisme et pose un problème de gestion dans les contrats de durée. On voit mal comment ces contrats puissent s’exécuter en dehors de l’évolution de la société. Il est en conséquence admis que la loi nouvelle s’applique aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la loi ancienne et qui se produisent ou se prolongent ou prolongent leurs effets sous l’empire de la loi nouvelle[39], pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés ou à des situations définitivement accomplies.

L’application immédiate d’une loi est ainsi limitée par le principe de la sécurité juridique et de la confiance légitime. La confiance légitime est violée, notamment, lorsque l’application de la nouvelle norme enlève au justiciable ses prétentions et attentes légitimes[40]. La sécurité juridique, c’est notamment la possibilité de déterminer avec précision les faits auxquels sont liés la naissance, l’exécution et la fin des relations juridiques. Un fossé peut séparer la théorie de ses applications et bien de justiciables s’estimeront trompés par une application immédiate d’une loi dans le cours de leur contrat. Dans ce cas, le recours à la notion d’imprévision donnera rarement de bons résultats.

Conclusion

En conclusion, une loi est rétroactive lorsqu’elle vise ou modifie des situations passées, définitivement établies, ou des actes qui ont déjà épuisé tous leurs effets dans le passé, ainsi que lorsqu’elle vise les conséquences déjà passées et les effets déjà réalisés d’un acte à effets successifs. Une loi n’est pas, quand même, rétroactive lorsqu’elle vise seulement les situations et les actes ultérieures à son entrée en vigueur, ni lorsqu’elle vise seulement les conséquences et les effets non encore réalisés, au moment de l’entrée en vigueur, d’un acte à effets successifs.

[1]  F. Chenet, Le temps, temps cosmique, temps vécu, Paris, Armand Colin, 2000, p. 10, Une des énigmes les plus insondables pour l’homme qui essaye de comprendre sa propre existence est précisément celle de la nature du temps.

[2]  Le temps est le créateur de toute initiative, mais il en est également le destructeur attiré. M. Bloch, Le temps collectif, Philosophie magazine, 2008, n° 21, p. 44.

[3]  Saint Augustin, Les confessions, livre XI, chap. 14, p. 17, « Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?

[4]  A. Cabanis, L’utilisation du temps par les rédacteurs du Code Civil, in Mélanges offerts à Pierre Hébraud, Université des sciences sociales de Toulouse, 1981, p. 172.

[5]  La même règle fut transplantée par les dispositions de l’article 1234 du Code Civil Français.

[6]  A savoir, une manifestation de volonté ayant pour but de produire un effet juridique.

[7]  Article 1101 du Code Civil Français abrogé le 1er octobre 2016.

[8]  Article 1er du Dahir formant Code des Obligations et Contrats. Toutefois, La convention désigne un accord de volontés qui produit des effets de droit. Ainsi, la notion de convention est donc très large. Elle peut créer des obligations. La notion de convention recouvre le contrat mais aussi des accords de volonté qui ne sont pas générateurs d’obligation.

[9]      P. Wéry. Droit des obligations, Vol. I, Théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 56, n° 37.

[10]   P. Van Ommeslaghe, Droit des Obligations, tome. I, Introduction – Sources des obligations, P. I, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 117, n° 58.

[11]  J. Caeymaex, L’application immédiate de la loi nouvelle en matière de privilèges, J.L.M.B., 1989, p. 719 ; M. Delvaux, il n’appartient pas à la jurisprudence de prendre la liberté de méconnaitre l’article 2 du Code Civil, J.D.S.C., 2005, pp. 194-195 ; L. Detroux, Loi interprétative et loi rétroactive : quelle différence ?, journ. Jur., 2003, p.9 ; F. Tulkens, Accélération du temps et sécurité juridique : poison et contre-poison ?, in X., l’accélération du temps juridique, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 2000, p. 469 ; L. Bach, Conflits de lois dans le temps, Rép. Civ. Dalloz ; J. Heron, Etude structurale de la loi dans le temps, RTD civ., 1985, p. 277.

[12]  Les lois qui instaurent de nouvelles règles de procédure ont, en principe, un effet immédiat, alors que les actes d’exécution sont réglés par des dispositions relatives à la procédure et sont, dès lors, régis par la loi applicable au moment ou l’exécution a lieu.

[13]  Cet article est un précepte pour le législateur, une obligation pour le juge et une garantie pour le citoyen.

[14]  H. De Page et René Dekkers, Traité élémentaire de droit civil belge : principes, doctrine, jurisprudence, 3 éd,  Bruxelles, Bruylant , 1962.

[15]  Cependant, l’étymologie de rétroactivité correspond à la notion de retour en arrière : Retroagere, signifie littéralement agir en remontant dans le temps : voir J. HERON, Principes du droit transitoire, Dalloz, Philosophie et théorie du droit, Paris, 1996, n°25, n°44, « la rétroactivité ne constitue pas un fait de la réalité, mais un concept purement juridique, auquel ne s’applique pas l’irréversibilité du temps ».

[16]  M. Cresp, Le temps juridique en droit privé, essai d’une théorie générale, Préface J. Hausser, P.U.A.M, p. 171.

[17]  G. Ripert, Le déclin du droit, Paris, LGDJ, 1949, p. 179, n° 58.

[18]  S. MERCOLI, La rétroactivité dans le droit des contrats, thèse, PUAM, coll. Institut de droit des affaires, Aix-en-Provence, 2001, n°1, « Plus qu’une simple rétrospection, elle signifie agir sur le passé », n°2, « on comprend sans peine que la rétroactivité apparaît comme une notion étrange appartenant surtout au commerce des idées. » ; J. DEPREZ, La rétroactivité des actes juridiques, thèse, Rennes, 1953, n°3, la rétroactivité étant confrontée à l’obstacle de l’irréversibilité du temps, « Dans la mesure où elle s’analyse en un retour chronologique sur le passé, la rétroactivité semble heurter à la fois à la logique et le bon sens. Le passé est, pour l’esprit humain, irrémédiable et irréparable. (…). Aussi bien la plupart des auteurs ont-ils qualifié la rétroactivité de fiction. L’impossibilité matérielle d’effacer le passé et de remonter le cours de la chronologie n’est pas un obstacle à la rétroactivité mais donne à la règle un caractère fictif. La rétroactivité est considérée comme une fiction ; elle permet de revenir intellectuellement sur le passé, d’en faire abstraction, de le traiter à l’inverse de ce qu’il était réellement et d’agir « comme s’il ne s’était rien passé ». L’irréversibilité du temps n’est donc pas une objection majeure à l’admission de la rétroactivité dans un système juridique. Grâce à son caractère de construction intellectuelle plaquée sur la matérialité de la vie, le Droit, tout en devant rester très proche de la réalité sociale, connaît la possibilité de s’évader du temps qui emprisonne la vie. ».

[19]  J. DEPREZ, La rétroactivité des actes juridiques, thèse, Rennes, 1953, n°1, « Le mot « rétroactivité évoque l’idée d’une action sur le passé. ».

[20]  J. Carbonnier, Flexible droit, Paris, LGDJ, 1969, p. 119.

[21]  Le dernier alinéa de l’article de la Constitution de 2011.

[22]  C.E.D.H., 20 Novembre 1995, J.T.D.E., 1996, p. 191 (Une loi dérogeant de façon rétroactive au droit commun de la responsabilité, est contraire aux conventions de sauvegarde des droits de l’homme car elle prive les requérants de leur créance d’indemnisation.

[23]  Voir par exemple, F. TERRE, Introduction générale au droit, 7ème éd., Dalloz, Précis, Paris, 2006, n°417, « l’application rétroactive d’une loi civile (…) recèle une menace certaine pour la sécurité juridique. » ; voir aussi J. HERON, Principes du droit transitoire, Dalloz, Philosophie et théorie du droit, Paris, 1996, n°74 et suivants, et spécialement, n°76 « la rétroactivité entraîne une perturbation de la vie juridique, qui est génératrice de procès. », n°83, « Les dangers liés à la rétroactivité justifient qu’elle soit limitée par les normes les plus solennelles du droit français. » ; ce qui renvoie au problème de la rétroactivité de la jurisprudence et de ses revirements ; voir sur ce point, Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Groupe de travail présidé par Nicolas Molfessis, Litec, 2004 ; P. MORVAN, « Le revirement de jurisprudence pour l’avenir : humble adresse aux magistrats ayant franchi le rubicon », D. 2005, p. 247 ; X. LAGARDE, « Jurisprudence et insécurité juridique », D. 2006, p.678, J. RIVERO, « Sur la rétroactivité de la jurisprudence », AJDA, 1968, p. 15, C. RADE, « De la rétroactivité des revirements de jurisprudence », D. 2005, p. 988, C. MOULY, « Le revirement pour l’avenir », JCP éd. G. 1994, n°3776 ; voir cepandant dans un sens contraire, W. DROSS, « La jurisprudence est-elle seulement rétroactive ? », D. 2006, p. 472.

[24]  R. DEMOGUE, « Valeur et base de la notion de rétroactivité », in Mélanges DEL VECCHIO, t.1, Modène, p. 163, spéc. p. 168.

[25]  Cass. 9 Septembre 2004, Revue de Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles, éd. Larcier, 2004, p. 1846.

[26]  G. Closset-Marchal, L’application dans le temps des lois de droit judiciaire civil, Bruxelles, Bruylant, 1983, p. 10 ; D. Renders, La consolidation législative de l’acte administratif unilatéral, Thèse, Bruxelles, Bruylant, et Paris, LGDJ, 2003.

[27]  En cas de loi interprétative, la loi interprétée est réputée avoir eu dès l’origine le sens défini par la loi interprétative et doit donc être appliquée comme telle par les cours et tribunaux.

[28]  La loi nouvelle est applicable aux situations qui naissent à partir de sa mise en vigueur et aux effets futurs de situations nées sous le régime de la loi antérieure ou se prolongeant sous l’empire de la loi nouvelle.

[29]  Cass. 26 avril 2012, www.cass.be (Une loi nouvelle est, en principe, applicable à des situations nées postérieurement à son entrée en vigueur et aux effets futurs de situations nées sous l’empire de l’ancienne loi qui se produisent ou se poursuivent sous l’empire de la nouvelle loi pour autant que cette application ne porte pas atteinte à des droits irrévocablement fixés.

[30]  P. Lewalle, L’abrogation des actes administratifs unilatéraux, Ann. dr. Liège, 1970, p. 117.

[31]  Article 38 de la loi 49-16 dispose que : « la présente loi entre en vigueur après expiration de six mois de la date de publication au bulletin officiel. Ses dispositions sont applicables aux baux en cours ou aux actions en instance, sans renouvellement des actes, des formalités et des jugements prononcés avant l’entrée en vigueur de la présente loi.

[32]  Dans un arrêt rendu le 17 Février 1937 relatif à l’application d’une loi sur les congés payés, la Cour de Cassation précise que « les lois nouvelles d’ordre public pourront s’appliquer immédiatement à tous les contrats de travail ».

[33]  Toutefois, en matière contractuelle, l’ancienne loi demeure applicable, à moins que la loi nouvelle ne soit d’ordre public ou n’en prévoit expressément l’application aux contrats en cours.

[34]  Le juge peut écarter l’application du principe général du droit de la non-rétroactivité des lois lorsque l’application de ce principe est inconciliable avec la volonté explicite du législateur.

[35]  C. Marr, L’application dans le temps des dispositions impératives : les contrats sont-ils soumis aux dispositions impératives entrées en vigueur postérieurement à leur conclusion, J.L.M.B., 2009, p. 249.

[36]  H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, n° 231.

[37]  G. Closset-Marchal, L’application dans le temps des lois de droit judiciaire civil, Bruxelles, Bruylant, 1983, p.9 : présentait cette disposition en ces termes : « L’office de la loi est de régler l’avenir, le passé n’est plus son pouvoir. Partout ou la rétroactivité des lois serait admise, non seulement la sureté n’existerait plus, mais son ombre meme…. Loin de nous, l’idée de ces lois à deux faces qui, ayant sans cesse un œil sur le passé et l’autre sur l’avenir, dessécheraient la source de la confiance, et deviendraient un principe éternel d’injustice, de bouleversement et de désordre. Pourquoi dira-t-on laisser impunis des abus qui existaient avant la loi que l’on promulgue pour les réprimer ? Parce qu’il ne faut pas que le remède soit pire que le mal… Il ne faut point exiger que les hommes soient avant la loi ce qu’ils ne doivent devenir que par elle.

[38]  P. Roubier, Le droit transitoire, Paris, Dalloz et Sirey, 1960, p. 364.

[39]  L’auteur Fagnart relève l’application de deux règles concurrentes. Selon la première, la loi nouvelle ne peut, sans rétroactivité, rendre efficace un fait ou un acte qui n’avait pu constituer valablement une situation juridique sous l’empire de la loi ancienne (J. Ghestin et G. Goubeaux, Traité de droit civil, Paris, LGDJ, 1977, p. 270, n° 365). Un acte qui n’était pas interruptif de prescription lorsqu’il a été accompli sous l’empire de la loi ancienne, ne le devient pas parce que la loi nouvelle prévoit qu’il l’aurait été s’il avait été accompli après sa mise en vigueur. Selon la deuxième règle, la loi nouvelle peut, sans rétroactivité, rendre inefficace un fait qui avait constitué valablement une situation juridique sous l’empire de la loi ancienne (J. Ghestin et G. Goubeaux, Traité de droit civil, op. cit, p. 268, n° 363 et 364). Un acte qui était interruptif de prescription lorsqu’il a été accompli sous l’empire de la loi ancienne, ne cesse pas de produire ses effets, même si la loi nouvelle ne lui reconnait pas un effet interruptif ; la loi nouvelle peut toutefois décider que les nouveaux délais de prescription qu’elle institue, commencent à courir dès son entrée en vigueur.

[40]  De Harven, Liberté et sécurité contractuelles, p. 89 : « C’est que les relations contractuelles qui forment chacune la base, la raison d’etre, la justification, le soutien de toute une série d’autres relations contractuelles entre d’autres personnes ne soient pas exposées à disparaitre ou à se modifier en telle manière que l’édifice des constructions sociales successives en soit ébranlé et qu’à cause du défaut d’un rapport social donné, entre deux individus déterminés, toute une série d’autres rapports sociaux soient modifiés au point de compromettre la sécurité dynamique. Tous les arguments qui ont été développés sur ce thème, valent aussi bien pour le législateur que pour le juge ».

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