L’arbitrage dans les affaires fiscales internationales
L’arbitrage dans les affaires fiscales internationales
Commission des questions fiscales, 3 mai 2000
Introduction
Dans son programme d’action de 1999, ICC réaffirmait sa volonté “d’encourager les gouvernements à accepter l’arbitrage obligatoire des conflits fiscaux promouvoir l’arbitrage en tant que moyen approprié et efficace de régler de tels conflits, et a déjà publié en 1984 une prise de position sur le sujet. Au cours des 15 années écoulées, malgré certains progrès sur la scène internationale, l’acceptation de clauses d’arbitrage appropriées reste peu répandue. Nous pensons que le moment est venu de réexaminer la question.
La vaste expérience d’ICC dans le domaine de l’arbitrage commercial nous donne à penser que cette forme de règlement des différends est à la fois attractive et efficace. L’arbitrage présente des avantages significatifs pour les entreprises et pour les gouvernements, non seulement parce qu’il permet de régler les conflits fiscaux de manière équitable et efficace en termes de coût, mais aussi parce qu’il stimule la croissance et le développement économiques mondiaux, grâce à l’élimination des cas involontaires de double imposition.
Nous avons donc rédigé la présente prise de position, afin d’encourager les gouvernements à adopter et à promouvoir l’utilisation de l’arbitrage pour le règlement des différends fiscaux internationaux. Nous recommandons l’adoption de l’arbitrage obligatoire et contraignant dans les conventions fiscales bilatérales ou multilatérales. Nous pensons que l’OCDE est l’instance la mieux placée pour élaborer ces instruments et nous encourageons tous les gouvernements à négocier des conventions bilatérales ou multilatérales prévoyant l’arbitrage des conflits fiscaux.
Règlement des différends fiscaux internationaux
La plupart des conventions fiscales bilatérales prévoient une procédure d’accord amiable afin de régler les difficultés auxquelles peut donn er lieu l’application de la convention aux contribuables. Cette procédure repose sur une concertation entre les autorités compétentes des deux États contractants.
La procédure d’accord entre autorités compétentes a apporté de nombreux avantages aux entreprises internationales et nous pensons qu’elle est le meilleur moyen de régler les cas de double imposition. Ce processus, cependant, présente quelques imperfections.
Les conventions visant à éviter la double imposition, en général, encouragent les autorités compétentes à éliminer la double imposition mais ne les y contraint pas. Il est pas conséquent possible qu’une double imposition persiste après l’application de l’accord amiable.
Les contribuables concernés sont normalement exclus des délibérations des autorités compétentes ou n’ont pas, en tout cas, de statut officiel ou garanti dans ces délibérations.
Les conventions visant à éviter la double imposition ne fixent ni règles de procédures ni délais pour les règlements par voie d’accord amiable, pas plus qu’elles ne précisent les modalités d’application (bien que de nombreuses conventions stipulent que les accords entre autorités compétentes seront appliqués nonobstant les délais de prescription nationaux).
Il y a de nombreux conflits de procédure entre les règles relatives à l’accord entre autorités compétentes et les règles nationales d’examen et de recours.
Mener à bien la procédure d’accord entre autorités compétentes peut demander très longtemps, et ces délais préoccupent les entreprises.
Même si les autorités compétentes parviennent à éliminer la double imposition, le contribuable peut ne pas être neutre quant à la méthode employée. La décision de l’autorité compétente peut ne pas être conforme au droit national ou au droit des traités et peut être influencée par des facteurs extérieurs tels que d’autres procédures d’accord amiable en cours.
L’arbitrage contraignant et obligatoire peut éliminer ou alléger beaucoup de ces problèmes. L’arbitrage aboutit toujours, assure une décision impartiale, avec une participation appropriée du contribuable, et applique le droit plutôt que des considérations de circonstance. Bien que la procédure arbitrale puisse aussi impliquer des délais, elle est ordonnée, prévisible et transparente.
Utilisation actuelle de l’arbitrage
Comme nous l’avons indiqué, il y a eu un développement significatif, malgré ses limites, de l’utilisation de l’arbitrage dans la fiscalité internationale. Trois évolutions sont particulièrement intéressantes à souligner.
La convention de l’UE
En 1990, les États membres de la Communauté européenne ont conclu une convention prévoyant l’arbitrage de certains différends fiscaux internationaux (la “convention de l’UE”) (1). Cette convention constitue un important précédent, qui mérite d’être pris en considération pour la rédaction de dispositions appropriées en matière d’arbitrage international en général. Les caractéristiques suivantes de la convention de l’UE sont à noter :
Il s’agit d’un accord multilatéral. L’arbitrage est obligatoire.
Le résultat de l’arbitrage n’est pas formellement contraignant, mais la convention garantit l’obtention d’un résultat contraignant. En effet, à la suite de la décision arbitrale, les autorités compétentes ont la possibilité de s’accorder sur une autre solution, mais cette dernière doit être de nature à éliminer la double imposition.
La convention s’applique aussi bien aux établissements stables qu’aux entreprises.
Elle s’applique à la double imposition juridique et économique, mais seuls sont couverts les cas de double imposition résultant de corrections visés à l’article 9 (Entreprises associées) de la convention type de l’OCDE relative à l’impôt sur le revenu et sur la fortune (la “convention type de l’OCDE”).
Le contribuable a le droit de demander l’arbitrage (“droit d’initiative”).
La convention fixe des délais : l’entreprise a 3 ans pour soumettre son cas à l’arbitrage ; les autorités compétentes ont 2 ans pour régler la question par voie d’accord amiable ; à défaut, elles disposent de 6 mois pour établir une commission consultative, qui a 6 mois pour se prononcer sur l’affaire.
Aucune règle de procédure n’est imposée. Les règles sont à déterminer par les autorités compétentes.
Aucun recours en révision devant les tribunaux n’est autorisé. L’arbitrage n’est pas applicable en cas de pénalité grave.
Les décisions arbitrales doivent être appliquées nonobstant tout délai de prescription interne. L’application peut se faire en corrigeant le revenu ou en accordant un crédit d’impôt.
–2 –
Plusieurs aspects de la convention de l’UE pourraient être adaptés et utilisés dans d’autres États afin de faire progresser l’arbitrage international des différends fiscaux. La convention de l’UE démontre par exemple qu’il est réaliste d’envisager de substituer un instrument multilatéral à l’adoption de clauses d’arbitrage dans des conventions bilatérales. La combinaison de l’arbitrage et de la procédure d’accord amiable entre autorités compétentes, dans la convention de l’UE, est intéressante car elle assure l’élimination de la double imposition, mais ce résultat n’est pas nécessairement conforme aux principes juridiques ni équitable pour le contribuable. D’autres aspects de la convention de l’UE pourraient aussi être améliorés.
Les problèmes de prix de transfert seront vraisemblablement le premier objet de l’arbitrage international. La limitation du champ de la convention de l’UE à la double imposition relevant de l’article 9 de la convention type de l’OCDE semble cependant indûment restrictive, car d’autres questions peuvent se poser.
L’existence de procédures d’arbitrage efficaces dans le domaine fiscal encourage les gouvernements à régler les cas de double imposition internationale par voie d’accord amiable. Par conséquent, l’absence de cas pratiques d’application de la convention de l’UE ne signifie pas que cette dernière n’ait pas atteint son but. Au contraire, le fait qu’aucune procédure d’arbitrage n’ait été engagée montre que les problèmes de double imposition ont été réglés à l’amiable, ce qui représente un avantage significatif tant pour les entreprises que pour les pouvoirs publics.
La pratique des États-Unis en matière de traités
Pendant de nombreuses années, les États-Unis se sont opposés à l’inclusion de clauses d’arbitrage dans les conventions visant à éviter la double imposition. Plus récemment, quelques clauses de ce type ont été acceptées (2). En général, elles présentent les caractéristiques suivantes :
L’arbitrage n’est pas obligatoire. Il ne peut avoir lieu qu’avec le consentement des deux autorités compétentes et du contribuable.
L’arbitrage est contraignant pour toutes les parties (y compris le contribuable). Des réserves sont prévues, de sorte que les autorités compétentes n’accepteront
généralement pas l’arbitrage en matière de politique fiscale ou de législation nationale. Les contribuables sont autorisés à exprimer leur point de vue.
Cette approche, dans l’ensemble, est plus limitée que celle la convention de l’UE. Bien qu’il soit encourageant qu’une telle clause ait été insérée dans certaines conventions des États-Unis, le fait que l’arbitrage n’est pas obligatoire est un grave inconvénient. L’exclusion des questions touchant à la politique fiscale ou à la loi nationale, tout en étant compréhensible, par certains côtés, n’a pas la spécificité qui conviendrait à une disposition rendant l’arbitrage obligatoire. Aucune règle de procédure n’est fixée, comme dans la convention de l’UE, ni, à l’inverse, aucun délai.
L’OCDE
La position du comité des aff aires fiscales (CFA) de l’OCDE sur l’arbitrage fiscal international a évolué. L’arbitrage n’est pas expressément envisagé dans la convention type de l’OCDE, tandis que le rapport de 1984 (3) conclut qu’il n’est pas, “pour le moment”, approprié de recommander une procédure arbitrale.
Le commentaire actuel de la convention type de l’OCDE indique cependant que l’arbitrage est une solution aux problèmes qui se posent lorsque les autorités compétentes ne parviennent pas à éliminer la double imposition (4). Dans les principes directeurs de 1995 applicables aux prix de transfert (5), il est noté que les développements intervenus depuis 1984 justifient la réouverture du dossier et que le CFA est convenu d’entreprendre sur le sujet une étude dont les conclusions viendront compléter les principes directeurs.
–3 –
Nous soutenons cette étude et nous encourageons le CFA à élaborer des dispositions prévoyant l’arbitrage obligatoire, en vue de les ajouter à la convention type, conformément aux recommandations que nous formulons ci-dessous. Nous appelons aussi le CFA à étudier la possibilité d’utiliser l’arbitrage au-delà du champ limité des prix de transfert. Nous pensons qu’il devrait également étudier la faisabilité de conclure entre les États membres une convention multilatérale sur l’arbitrage, qui serait aussi ouverte à la signature d’États tiers, dans des circonstances appropriées, en prévoyant par exemple que l’arbitrage ne peut être envisagé que si les États en question ont conclu avec la plupart des autres signataires des conventions générales visant à éviter la double imposition.
Recommandations
Nous pensons que les États devraient adopter un système d’arbitrage obligatoire et contraignant. Les dispositions correspondantes devraient être adoptées dans le cadre des conventions bilatérales, existantes ou à venir, visant à éviter la double imposition, y compris dans les conventions régionales relatives aux questions fiscales, ou sous la forme d’un accord international indépendant.
Ces clauses d’arbitrage devraient, selon nous, présenter les caractéristiques suivantes:
Initiative. La procédure d’accord amiable, qui a apporté d’importants avantages tant aux contribuables qu’aux administrations fiscales, devrait être poursuivie en première instance. Faute d’accord entre les autorités compétentes, l’un ou l’autre des États peut demander l’arbitrage. Les contribuables concernés devraient en outre disposer d’un droit d’initiative dans tous les cas de figure, que les autorités compétentes soient convenues ou non d’éliminer la double imposition.
Obligatoire. L’arbitrage devrait être obligatoire, qu’il soit demandé à l’initiati ve d’un État contractant ou d’un contribuable.
Contraignant. L’arbitrage devrait être contraignant. Les États et les contribuables concernés devraient être liés par la décision arbitrale.
Champ d’application et fondement. Le fondement des demandes d’arbitrage devrait être l’existence prima facie d’une double imposition, juridique ou économique. Toutes les formes de double imposition devraient être couvertes, et pas seulement les cas visés à l’article 9 (Entreprises associées) de la convention type de l’OCDE. La décision arbitrale devrait se fonder sur le droit, y compris les lois nationales des États parties à l’arbitrage, les traités et le droit international.
Procédure. Les clauses devraient définir des mécanismes de contrôle fondamentaux destinés à assurer l’équité de la procédure. Un cadre procédural général devrait également être établi. Une approche possible pourrait être le choix de l’instance. Des délais devraient en outre être clairement fixés. La protection de la confidentialité doit être prévue, à un niveau équivalent, au minimum, à la protection assurée en vertu des lois nationales des États concernés ; en pratique, les normes les plus strictes devraient s’appliquer.
Participation du contribuable. Les “contribuables concernés” devraient être définis de manière à inclure tous les contribuables dont l’imposition est affectée d’une manière qui, en prenant les contribuables dans leur ensemble, implique une double imposition économique ou juridique. Les contribuables ainsi concernés devraient avoir un droit d’initiative, ainsi que le droit de demander l’interruption d’un arbitrage engagé à leur initiative. Ils devraient avoir la possibilité d’exposer leur point de vue, y compris le droit de communiquer tous les renseignements ou documents pertinents, de présenter des arguments oraux ou écrits conformément aux règles de procédure applicables et de répondre aux arguments ou preuves soumis par les États impliqués. La production obligatoire de preuves devrait être soumise aux limites prévues par la loi interne applicable.
–4 –
Résultat. L’arbitrage devrait, dans tous les cas, assurer une élimination définitive de la double imposition. Les États contractants devraient s’engager à appliquer les décisions nonobstant toute autre disposition de la loi nationale, y compris les délais de prescription ordinairement en vigueur. Les dispositions d’application devraient contenir des références aux intérêts, aux corrections corrélées et à d’autres questions similaires pouvant être tranchées par les arbitres.
Document n° 180/438
3 mai 2000
FOOTNOTES
- Convention relative à l’élimination des doubles impositions en cas de correction des bénéfices d’entreprises associées, 90/436/CEE.
- Notamment dans la convention États-Unis/Allemagne. D’autres conventions, dont celles avec le Canada, les Pays-Bas, la France, le Kazakhstan, la Suisse et le Mexique, envisagent aussi l’arbitrage, mais pas immédiatement. Aucune clause d’arbitrage ne figure dans la convention modèle des États-Unis.
(3)Transfer Pricing and Multinational Enterprises – Three Taxation Issues
- Paragraphe 48 du commentaire de l’article 25 de la convention type de l’OCDE.
- OECD Report Transfer Pricing Guidelines for Multinational Enterprises and Tax Administrations, para. 4.167-4.171.
–5 –