La livraison de la chose vendue dans les contrats de vente à distance : approche juridique
La livraison de la chose vendue dans les contrats de vente à distance : approche juridique
Écrit par OUABI Abdelouahed
Etudiant et chercheur en droit privé
Introduction :
Dans tous les types des contrats de vente, y compris les contrats de vente à distance, les vendeurs assument un certain nombre d’obligations dont la principale c’est la livraison de la chose vendue. Le vendeur doit délivrer la chose vendue, c’est-à-dire qu’il doit la mettre à la disposition de l’acheteur, cette obligation est un effet du contrat même s’il ne contient aucune clause qui le stipule expressément[1].
L’étude de la délivrance de la chose vendue dans les contrats de vente à distance occupe une importance primordiale, et ce revient, premièrement, à la nature de ce contrat à distance qui se caractérise par une distance physique séparant les parties contractantes lors de la formation du contrat, et ensuite, aux effets de cette distance qui rendre la délivrance une opération plus complexe et, généralement, nécessitant des frais supplémentaires. En effet, la réglementation donnée par le législateur marocain à la délivrance dans le dahir formant code des obligation et contrats (D.O.C), s’appliquant pour tous les contrats de vente, est demeure applicable en matière de vente à distance mais en concomitance avec les règles spécifiques de la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur. Alors, à quel niveau le législateur marocain a réussi dans la réglementation de l’obligation de livraison en matière des contrats de vente à distance ? et quelles sont les garanties pour un consommateurs à distance qui n’a pas reçu la chose vendue ou qui ne l’a pas reçu dans les délais convenus ?
L’analyse du régime juridique de la délivrance se passe, en premier lieu par l’analyse des conditions de l’obligation de délivrance à savoir les délais, modalités et les frais de la livraison (I), et en second lieu, il faut illustrer le régime de sanction envisagé par le législateur lorsque le cybermarchand n’exerce pas son devoir ou plutôt en cas de non livraison (II).
Le législateur a prévu un certain nombre de règles et de conditions pour assurer le bon déroulement de l’opération de livraison, et de protéger les intérêts de la partie faible dans le contrat de vente en général et dans les contrats du commerce électronique ou des ventes à distance en particulier. Ces règles sont relatives au délai auquel la livraison doit être effectuer (1), aux différentes modalités de livraison (2), et enfin aux frais de cette opération (3).
Le délai de délivrance est le moment auquel le vendeur doit mettre la chose à la disposition de l’acquéreur. Concernant ce délai, le législateur marocain a stipulé que la délivrance doit se faire aussitôt après la conclusion du contrat, sauf les délais exigés par la nature de la chose vendue ou par l’usage[2]. En revanche, le législateur français n’a pas prévu des règles particulières relatives au délai de délivrance et il a laissé cette question aux stipulations des parties dans le contrat[3]. Ainsi, la jurisprudence française partage avec le législateur marocain son position, elle a décidé que la délivrance doit intervenir dès qu’elle est possible et parfois il fait référence à un délai raisonnable[4].
Quant à la vente à distance, elle est soumise aux délais de livraison relatifs aux ventes aux consommateurs tels qu’ils sont prévus par la loi 31-08 relative à la protection du consommateur. Dans ce sens, la loi impose au vendeur professionnel de préciser par écrit la date limite à laquelle il s’engage à livrer les produits ou les biens[5]. Cette obligation est impérative du moins lorsque la valeur de ce produit excède un seuil fixé par voie réglementaire[6]. Le législateur français prévoit aussi les mêmes règles lorsque la valeur du produit dépasse un seuil de 500 euro[7], ainsi qu’en cas de non indication de cette « date limite » par le professionnel, ce dernier est réputé devoir délivrer le bien ou exécuter la prestation de services « dès la conclusion du contrat »[8]. Cette dernière exigence, beaucoup plus précise que la règle de droit commun, est évidement plus contraignante pour le professionnel et donc plus protectrice pour le consommateur.
Toujours en matière de vente à distance, l’article 39 de la loi 31-08 précise que le délai d’exécution de la commande ne peut pas dépasser le délai maximum de 30 jours sauf si les parties en sont convenues autrement. Alors, on constate que le législateur a laissé la détermination de ce délai à la liberté contractuelle en matière du commerce électronique.
L’article 500 du D.O.C prévoit que la délivrance peut se faire par différentes manières, selon cet article il y a une distinction entre la manière de délivrance des immeubles et celle des choses mobilières. Aujourd’hui au [Maroc] le commerce électronique n’a pas encore pour objet des immeubles c’est pourquoi on va s’intéresser seulement à l’étude des modalités de délivrance des biens meubles dans la vente à distance, et dans ce stade aussi des règles de protection du consommateur s’installent.
Dans les contrats du commerce électronique on peut distinguer deux types de contrats et par conséquence deux modes de livraison. Le premier est conclu on ligne mais dans lequel la délivrance et l’exécution du contrat ne se font pas sur le réseau internet mais par des moyens et la manière dont les parties sont convenues dans le contrat, ça sert à la vente des choses matérielles. Pour le deuxième type est formé sur le réseau puis la délivrance et l’exécution du contrat se réalisent en ligne en raison de la nature de la chose vendue, qui est des produits ou services immatériels ou électroniques (exemple : logiciels de l’ordinateur, films, music, livres), qui sont livrés au consommateur dès la formation du contrat par le transfert électronique des données de l’internet vers l’ordinateur électronique du consommateur, ou ce qu’on appelle « Téléchargement » [9].
Le législateur marocain, comme son homologue français, a instauré des règles de protection du consommateur en matière de modalités de livraison. Dans ce sens, le vendeur professionnel a une obligation d’information à l’égard du consommateur et parmi les informations que l’offre du contrat de vente à distance doit comporter, il y a l’informations sur les modalités de livraison[10]. C’est qui justifie l’existence, sur les sites de e-commerce, des mentions qui indiquent le mode de livraison de produit, par exemple « livraison à domicile ».
Sur les sites web marchand on trouve des autres indications relatives à la livraison telle que les frais de livraison.
Le dahir des obligations et des contrats dispose que les frais de délivrance rentrent dans le cadre la liberté contractuelle, c’est la volonté des parties qui va décider celui qui supportera les frais de livraison[11].
Dans le contrat du commerce électronique, le cybermarchand est tenu d’informer le consommateur des frais de délivrance[12] , ces frais sont des prix facturés pour le service de livraison. Ils doivent donc, conformément à la réglementation sur l’affichage des prix, être indiqués toutes charges comprises dans le cadre de cette relation commerciale avec le consommateur[13].
En outre, le prix doit obligatoirement inclure les taxes dues par le consommateur, en cas de vente au consommateur (business to consumer) on parlera de prix TTC (toutes taxes comprises). En cas de vente au professionnel (business to business), il est possible d’indiquer le prix HT (hors taxe)[14].
Par conséquence, le cybercommerçant a une obligation principale à savoir la délivrance de la chose vendue, et une autre obligation d’information à l’égard du consommateur qui contient l’information sur le délai, les modalités et les frais de livraison. Par le non-respect de ces obligations, le cybercommerçant peut engager sa responsabilité.
L’inexécution d’une obligation produit des effets variant selon la nature de cette obligation, de même le non-respect de l’obligation de délivrance produit certains effets d’origine légal et contractuel, ces effets tendent à protéger la partie lésée et constituent une sorte de sanction à l’encontre de la partie qui n’exécute pas son obligation.
Le législateur marocain à travers la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur distingue deux situations différentes de l’inexécution de l’obligation de délivrance, l’une est lorsque le cybercommerçant ne prend pas en considération le délai fixe de livraison qu’il a indiqué lui-même, conformément à l’article 12 de la loi 31-08, avant la conclusion du contrat (1), l’autre situation est lorsque la non livraison résulte de l’indisponibilité du produit ou du service commandé (2).
L’article 13 de la loi 31-08 édictant les mesures de protection du consommateur dispose que :
« Nonobstant toutes dispositions contractuelles contraires et sans préjudice des dispositions des articles 259 et 260 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) formant code des obligations et des contrats, si le délai mentionné à l’article 12 est dépassé de 7 jours et lorsque le retard n’est pas dû à un cas de force majeure, le consommateur dispose, sans recours à la justice, de la faculté de résoudre de plein droit l’engagement le liant au fournisseur portant sur le bien non livré ou la prestation non exécutée, par tout moyen justifiant la réception.
Le consommateur exerce ce droit dans un délai maximum de 5 jours après expiration du délai de 7 jours prévu au premier alinéa ci-dessus.
Cet engagement est alors réputé résolu à la réception par le fournisseur de l’avis qui lui est adressé, à condition toutefois que la livraison du bien ou l’exécution de la prestation ne soit pas intervenue entre la signification dudit avis par le consommateur et sa réception par le fournisseur ».
Il ressort de cet article que le vendeur professionnel qui dépasse la date limite mentionnée à l’article 12 de la loi 31-08 assume sa responsabilité à l’égard du consommateur, ce dernier peut résoudre le contrat sans recours à la justice, C’est une nouveauté qui vise à protéger le consommateur contrairement au dahir des obligations et des contrats qui exige que la résolution du contrat n’a pas lieu de plein droit, mais doit être obligatoirement prononcée en justice[15]. Toutefois, des conditions sont nécessaire pour la résolution du contrat, premièrement le retard doit dépasser 7 jours à partir de la date de livraison et ne doit pas dû à un cas de force majeur, en suite le consommateur doit être vigilant et exercer son droit 5 jours après l’expiration dudit délai de 7 jours, ainsi qu’il doit aviser le vendeur. A noter que les dispositions de cet article sont d’ordre public c’est-à-dire que les parties ne peuvent pas les déroger par un accord commun.
En fin, en cas de résolution du contrat, le législateur permet au consommateur de restituer les sommes versées d’avance dans un délai ne dépassant pas 7 jours à compter de la date de réception de l’avis précité par le fournisseur, De même article le consommateur a le droit de réclamer les dommages-intérêts pour le préjudice subi[16].
Le consommateur est remboursé aussi dans le cas où le vendeur ne lui livre pas la commande à cause d’indisponibilité du bien.
Lorsque le bien ou le service commandé est indisponible, le consommateur pourra obtenir remboursement ou éventuellement recevoir un bien ou service semblable.
En cas de défaut d’exécution du contrat par un fournisseur résultant de l’indisponibilité du bien ou du service commandé, le consommateur doit être informé de cette indisponibilité et doit, le cas échéant, pouvoir être remboursé sans délai et au plus tard dans les 15 jours du paiement des sommes qu’il a versées. Au-delà de ce terme, ces sommes sont productives d’intérêts au taux légal[17].
Le délai de 15 jours instauré par la loi 31-08 apparaît raisonnable contrairement au code de la consommation français qui prévoit un délai de 30 jours[18] pour que le consommateur puisse être remboursé.
En fin, Le fournisseur est responsable de plein droit à l’égard du consommateur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu à distance, que ces obligations soient à exécuter par le fournisseur qui a conclu ce contrat ou par d’autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci[19]. Le législateur par cette règle vise la protection du consommateur et que ce dernier ne doit pouvoir connaître que le marchand en ligne, et ne demander de comptes qu’à celui-ci afin de lui éviter de devoir engager cumulativement la responsabilité d’autres personnes telles que le fabricant, le vendeur, et le transporteur[20].
L’article 26 al.3 de la loi 31-08 ajoute que le cybercommerçant peut s’exonérer de la totalité ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable, soit au consommateur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers au contrat, soit à un cas de force majeure. Il s’agit donc là d’une responsabilité de plein droit couvrant le fait contractuel d’autrui[21].
En guise de conclusion, la livraison un fait l’objet d’une réglementation générale par les règles du dahir des obligations et des contrats et d’une réglementation spéciale par la loi 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur. les règles spécifiques de la loi 31-08 apparaissent très suffisantes pour protéger le consommateur en matière de livraison dans les contrats de vente à distance et dans tout contrat de consommation, ainsi le recours aux dispositions de D.O.C en matière de livraison dans les contrats de vente à distance est très dépassé par l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions précitées.
[1] عبد الحكيم زروق، تنظيم التبادل الإلكتروني للمعطيات القانونية عبر الأنترنت، الرباط، سلسلة الشؤون القانونية والمنازعات، دار الأمان، الطبعة الأولى، 2016. ص.306.
[2] L’article 504 du D.O.C.
[3] DUTILLEUL, François Collart ; DELEBECQUE, Philippe. Contrats civils et commerciaux, Paris, Dalloz, 9ème édition, 2011, P. 218.
[4] Ibid.
[5] L’article 12 de la loi 31-08.
[6] L’article 28 du décret n° 2-15-503 du 4 kaada 1434 (11 septembre2013) pris pour l’application de certaines dispositions de la loi n° 31-08 édictant de protection du consommateur ; Bulletin Officiel n° 6192 du 26 kaada 1434 (3 octobre 2013), p. 2395. Dispose que : « Le seuil du prix ou du tarif visé à l'article 12 de la loi n° 31-08 précitée, est fixé à 3.000 Dirhams ».
[7] Art. R. 114-1 de Code du Consommateur français.
[8]PICOD, Yves ; DAVO, Hélène. Doit de la consommation, Sirey, 2ème édition, 2010, P. 72.
[9] . 307عبد الحكيم زروق، المرجع السابق، ص.
[10] L’article 29/5 de la loi 31-08.
[11] L’article 509 et 511 du D.O.C.
[12] L’article 29/3 de la loi 31-08.
[13] R. GOLA, Droit du commerce électronique : guide électronique de e-commerce, LEXTENSO éditions, 2013, p. 325.
[14] Idem. p. 322.
[15] L’article 259 du D.O.C.
[16] L’article 14 de la loi 31-08.
[17] L’article 40 de la loi 31-08.
[18] ROMIN V. GOLA, op.cit., P. 326.
[19] L’article 26 al.2 de la loi 31-08.
[20] ROMIN V. GOLA. op.cit., P. 326.
[21] Y. PICOD ; H. DAVO, op.cit., P. 72.