سلسلة الأبحاث الجامعية و الاكاديمية العدد 33 أكتوبر 2020 Droits-créances et Justiciabilité
سلسلة الأبحاث الجامعية و الاكاديمية العدد 33 أكتوبر 2020 Droits-créances et Justiciabilité
Les droits-créances sont-ils judiciairement exigibles ? La présente recherche revient, de façon succincte, sur la spécificité et le particularisme longuement avancés de droits économiques, sociaux et culturels. Autrefois, on avait soutenu que ceux-ci sont irréfragablement présumés injusticiables en raison non seulement des choix à opérer pour leur réalisation et de leurs implications financières, mais aussi de leur caractère purement politique ; les droits socioéconomiques devenaient de ce fait extra-juridictionnels. Or, était- il réconfortant de constater que la pratique jurisprudentielle, interne et internationale, avait prouvé intelligiblement que telle présomption pouvait se voir remise en cause. Dans la même veine, s’est adopté le protocole additionnel au Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Des décennies après leur proclamation, les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) font toujours partie intégrante du paysage contemporain des droits humains, comme en témoigne la place qu’occupent les questions de droit à la protection sociale, au travail, à l’instruction, à l’alimentation, au logement et à la santé, pour ne citer que peu. Depuis 1948, date de la première reconnaissance des droits socioéconomiques, en même temps que les droits civils et politiques, soit plus de soixante-dix ans, la précision de leur contenu et les modalités visant à en assurer l’effectivité ont été largement ignorées.
En dépit des débats et controverses autour de la classification et la hiérarchisation des droits de l’homme, la protection des droits sociaux, en comparaison avec les droits-libertés bénéficiant d’une garantie de type proto-juridictionnel, reste de faible portée et relativement peu mise en exercice ; ce qui incite à se demander si les droits économiques et sociaux sont de véritables droits (juridicité) que l’on peut utilement revendiquer devant les tribunaux (justiciabilité). C’est-à-dire, s’ils ont la même nature que les droits civils et politiques, s’ils font donc partie de l’ensemble des Droits humains ou bien si, à l’inverse, l’on doit les placer sous un autre régime de droits.
Parler de la protection des droits socioéconomiques n’a rien d’évident en raison de leur inopposabilité et encore moins de justiciabilité. Si la majorité de ces droits reste ineffective, prêtant ainsi le flanc aux critiques qui voient dans les DESC des simples déclarations, une telle ineffectivité résulte de fait, mais pas uniquement, d’absence de recours juridictionnels. Or, si l’on considère que la réalisation des droits-créances se fait selon le pouvoir ou encore par le bon vouloir des Etats davantage que par un fort engagement juridique, l’accent doit alors être mis sur la nature des obligations étatiques relatives aux droits sociaux. Ces obligations, étant vues comme source d’une éventuelle responsabilisation, seraient dépourvues de signification si les débiteurs ne devaient pas rendre des comptes à leurs créanciers, voire à l’ensemble de la société et notamment par voie judicaire. Ainsi, une
partie de la réflexion consistera donc à clarifier, d’un point de vue théorique, que seule l’obligation juridique est susceptible de donner naissance à un véritable droit de créance donnant la faculté de poursuivre en justice d’un débiteur litigieux. C’est-à-dire, lorsqu’elle est établie par les lois qui en assurent l’application et lorsqu’un organe judiciaire ou quasi judiciaire1 impartial garantit l’exécution des décisions judiciaires.
Thème en vogue, l’étude de la justiciabilité, son enjeu essentiel, exige que soient définies les notions qui en déterminent l’objet : le droit, la créance et la justiciabilité. Ces trois notions se retrouvent aussi bien dans la sphère interne que dans la sphère internationale.
La notion « droit » doit s’entendre comme un droit subjectif. Un terme équivoque, peut se définir sommairement comme « le pouvoir d’imposer, d’exiger ou d’interdire ». La créance quant à elle, synonyme de droit personnel, désigne le droit d’exiger. Cependant, la signification de droits-créances n’est pas une simple juxtaposition du sens des termes composants de l’expression. Autrement dit, il s’agit d’un type de droits de l’homme, que l’on nomme également les « droits à », correspond exactement à la deuxième génération, l’une des typologies des droits fondamentaux instituée par Karel VASAK, et qui sont devenus un lieu de l’analyse juridique et politique2.
D’ailleurs, est difficile de trouver de définitions exactes concernant les droits économiques, sociaux et culturels, mais le plus souvent, il est convenu qu’il s’agit des droits qui « permettent à l’homme de demander à la collectivité dont il relève la protection de la santé, l’emploi, l’instruction, les éléments d’un niveau de vie décent »3. Autrement dit, les droits-créances placent l’individu dans un rapport juridique par rapport à l’État « status positivus »4 et « confèrent à leur titulaire, non pas un pouvoir de libre option et de libre action, mais une créance contre la société, tenue de lui fournir, pour y satisfaire, des prestations positives impliquant la création de services publics »5.
Par ailleurs, la possibilité de recourir à la justice est désignée par le terme justiciabilité. Une chose est justiciable lorsqu’elle peut être jugée par des juridictions. Un
[1] L’expression désigne tout mécanisme « (…) non judiciaire habilité à entendre et à traiter les plaintes déposées par des particuliers ou des groupes dans une affaire spécifique », FIAN, Se nourrir est un droit ! manuel pédagogique, Bruxelles, FIAN Belgique, 2012, p.41.
[2] J. RIVERO, H. MOUTOUH, Les libertés publiques, Tome1, 9e éd., PUF, Coll. Themis Droit, 2003, p. 115 ss.
[3] J. RIVERO, “Déclarations parallèles et nouveaux droits de l’homme”, p. 324.
[4] Selon le théoricien allemand du droit et de l’État Georg Jellinek, trois rapports juridiques entretenus par l’individu avec l’État et, partant, trois statuts : « negativus », « positivus » et « activus ».
[5] J. RIVERO, H. MOUTOUH, Les libertés publiques, op.cit., p. 8.
droit justiciable est donc un droit susceptible d’être contrôlé par un juge. En d’autres termes, la justiciabilité signifie que les personnes qui se considèrent victimes de violations de ces droits peuvent porter plainte devant un organe indépendant et impartial, pour demander une réparation appropriée, et, obtenir un recours effectif lorsque la violation est avérée ou risque de se produire1. Cependant, la justiciabilité ne peut s’étendre à la reconnaissance du bien- fondé de toute dénonciation en justice à ce sujet et l’issue d’un procès dépendra, dès lors, du fond de l’affaire et de l’existence des moyens de preuve2.Tout au plus, elle impose qu’aucune dénonciation ne soit exclue a priori.
Il est à signaler que le terme « justiciabilité », d’origine anglo-saxonne, ne bénéficie pas d’une définition claire et arrêtée. Ses rapports avec d’autres notions telles que « l’effet direct » ou « l’applicabilité directe » sont très fluctuants. Ces premières définitions, volontairement larges, sont révélatrices de l’ambiguïté conceptuelle, et impose davantage de clarification.
Du point de vue historique, si brève soit-elle, le débat sur de la justiciabilité des droits-créances3 est en cours au sein de l’ONU depuis 1945, longtemps ignorée, n’était réapparue que lors des négociations sur le projet de Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), adopté en 2008, validant ainsi la justiciabilité des droits-créances en droit international.
La culture d’injusticiabilité est ancrée de longue date dans la pratique des Etats, et a une origine politico-idéologique et non pas juridique. Le droit d’aujourd’hui a commencé à se forger dès la fin du XVIIIe et XIXe siècle de manière qu’un fondement légal au capitalisme soit établi, et c’est ce qui explique la primauté donnée par les pays occidentaux aux droits civils et politiques particulièrement à l’époque de la Guerre froide au détriment de ceux sociaux d’inspiration socialiste. Et donc, l’idée que le social puisse se penser en termes de droit a longtemps été contestée.
[1] CIJ, Les tribunaux et l’application des droits économiques, sociaux et culturels : étude comparative d’expériences en matière de justiciabilité, série des droits de l’homme et état de droit, No 2, Genève, 2010, p. 1. [2] K., VASAK, Le droit international des droits de l’homme. Recueil des cours de l’Académie de droit international, 1974-IV. La Haye, A.W. Sijthoff, Leyde ; pp. 388-389.
[3] Les droits sociaux, quant à eux, leur apparition pour la première fois, selon certains auteurs, date de 1917 dans la Constitution mexicaine, puis dans celle soviétique de 1918, de Weimar de 1919, de l’Espagne de 1937 et irlandaise de 1937. C’est par la suite qu’ils ont été graduellement incorporés dans la plupart des Constitutions modernes. A l’échelle internationale, la première leur apparition date de 1919 (Constitution de l’Organisation internationale du travail).
Dans le monde d’aujourd’hui basé sur de grandes inégalités, combattre la pauvreté, éradiquer la faim, lutter contre la marginalisation des pauvres est devenue une question de Droit et de droits et non seulement une cause sociale et une solution économique1. Il en résulte une abondante littérature, surtout anglo-saxonne, produite au sujet de la spécificité des droits-créances, et l’éventualité de garantir en justice leur réalisabilité.
Au regard des débats doctrinaux, opposant les partisans d’un mouvement vers une protection de nature juridictionnelle aux partisans de sa négation pure et simple, qui ont une répercussion certaine en jurisprudence, et plus indirectement en législation, les droits-créances sont-ils justiciables ?
Pourquoi les positions de certains pays sont-elles farouchement hostiles quant à la justiciabilité des droits-créances ? C’est quoi la raison pour laquelle la doctrine dominante les range dans une catégorie autre que les droits-libertés bénéficient de protection juridictionnelle
? Pourquoi certains Etats refusent de garantir ces droits dans leur législation nationale ? Que serait la nature des obligations étatiques en matière des droits-créances ?
Par principe, tout droit fait naître une action ; il devrait en résulter logiquement que cette catégorie de droits humains soit justiciabilisé ou opposable aux Etats. En outre, en appliquant le concept de justiciabilité aux droits-créances, comme toute protection juridictionnelle, celle-ci devra procéder d’une double articulation, de la juridicité et de la responsabilité d’une part, d’autre part, des mécanismes de mise en œuvre de cette responsabilité, ce qui est concevable, réalisable, souhaitable et expérimenté. Ainsi, supposer que les droits-créances soient non-justiciables, en raison de leur inopposabilité, leur caractère prétendument programmatique et imprécis, est évidemment possible de réfuter.
Ainsi, pour répondre à ces questions, la démarche de recherche revêtira deux aspects, à savoir une approche théorique d’abord, mais également empirique à base d’analyse systématique de la jurisprudence en la matière, ce qui permet de doubler l’enjeu théorique – lecture politique et juridique sur la justiciabilité et l’injusticiabilité des droits-créances – d’un enjeu empirique. Tout en illustrant et confirmant ou infirmant les hypothèses avancées, la
[1] D. ROMAN, (dir.), « droits des pauvres, pauvres droits ? » recherches sur la justiciabilité des droits sociaux, Rapport de recherche, Centre de Recherches sur les droits fondamentaux (CREDOF), Université Paris Ouest Nanterre la Défense, 2010, p. 2.
présente recherche se borne également à les vérifier en y incluant l’expérience onusienne, régionales et internes.
La réponse à cette problématique sera apportée au travers d’un recueil de réflexions théoriques sur l’(in)justiciabilité des droits-créances (Titre premier) et l’analyse des solutions jurisprudentielles, aussi bien au plan national qu’international, comprenant des décisions des tribunaux et des juges qui, en dépit les écueils rencontrés, se sont prononcés sur les violations des droits-créances (Second titre).